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13 juin 2012 3 13 /06 /juin /2012 22:22

UN MARIAGE ARRANGE ?

 

L’affaire Ouattara (1990-1993)

et

la crise de l’houphouéto-foccartisme


(Première partie).

 

« "On s'est servi d'elle comme d'une courtisane pour amadouer le roi", estime un acteur du dossier. A-t-elle été manipulée ? (…). Là réside tout le mystère de cette femme, sorte de Rastignac en jupons, peut-être plus rouée qu'il n'y paraît. » D. Demonpion, J.-L. Reverier, J.-P. Amette (« Qui est donc Christine Deviers-Joncour ? » - Le Point 25/01/2007)



PREMIERE DAME…


 Dom-Ouat-a-Libreville.jpgElle est partout. Elle sait tout faire et elle le peut, et elle en a les moyens : fonder des écoles, des hôpitaux, des marchés ; les équiper, les doter et parfois même les baptiser de son propre nom ; couronner et complimenter les reines de beauté ; donner audience à une directrice générale de l’Unesco éperdue d’admiration, quelques jours après avoir reçu l’illustrissime et versatile Elie Hallassou dans son nouveau rôle d’« opérateur économique » dispensateur de conseils de bonne gouvernance… C’est, chez notre héroïne, comme qui dirait une seconde nature. Et ce n’est pas parce qu’elle est la femme de qui vous savez qu’elle le peut et qu’elle le fait. Non. Même sans cela elle aurait été cette femme entreprenante et généreuse à qui tout réussi ; qui, telle les fées et les génies des contes pour enfants, sème le bonheur autour d’elle partout où elle apparaît… Par exemple, elle seule pouvait s’offrir, pour le banquet annuel de sa fondation, des extras de luxe nommés Alain Delon, MC Solar, Adriana Karembeu…
Elle, vous l’avez deviné, c’est Dominique Nouvian, épouse Ouattara, la Première dame… Ce rôle et cette fonction, aucune autre épouse de nos précédents chefs de l’Etat ne l’a joué ni exercé avec autant de zèle et autant de jubilation qu’elle. Malgré les efforts actuels, d’ailleurs méritoires, d’Henriette Bédié pour rester dans la course, aucune autre qu’elle n’aura été aussi activement présente sur le devant de la scène politique. Et il est à craindre qu’après elle aucune autre épouse de chef de l’Etat ivoirien ne s’y trouve jamais aussi à son aise qu’elle. Mais il est vrai qu’elle en rêvait depuis si longtemps, et qu’elle a donc eu tout le temps de s’y préparer de son  mieux.

 


UNE HEUREUSE MEPRISE


La toute première fois que le nom de l’actuelle Mme Ouattara apparut dans la grande presse, du moins en France, elle s’appelait encore Dominique Folloroux, du nom de son premier mari, Jean Folloroux, dont elle était devenue veuve en 1984. C’était en 1991. Déjà femme d’affaires distinguée, Dame Folloroux avait accordé un entretien au quotidien parisien Le Figaro, et cela lui avait valu l’honneur supplémentaire de la mention suivante dans l’officieuse Lettre du continent (N°137, 28 mars 1991) paraissant aussi à Paris : « Dominique Follereaux (Côte d’Ivoire). Pdg de l’Agence internationale de commercialisation immobilière (Aici) depuis douze ans, cette femme d’affaires bien introduite dans le sérail de la présidence ivoirienne, va développer ses activités aux Etats-Unis après avoir ouvert en 1988 une agence à Paris. Dans un récent entretien accordé au Figaro, Dominique Follereau… etc. »
Dans cette notule, la graphie du nom du premier mari de l’actuelle Mme Ouattara est doublement fautive. En réalité il s’appelait Folloroux. Quant à Follereau, sans "x", c’était le fameux apôtre des lépreux prénommé Raoul, un ami de longue date d’Houphouët. Raoul Follereau était mort depuis une bonne dizaine d’années quand, en 1986, Houphouët confiait à la jeune et accorte veuve Folloroux la gestion « de tout le patrimoine immobilier de sa famille en Côte d’Ivoire et à l’étranger », bientôt imité en cela par « d’autres personnalités, notamment des ministres ». Cette erreur sur le nom de l’égérie du vieil autocrate – qu’on retrouve aussi dans le magazine Africa International (N° 239, juin 1991), ainsi que dans un livre du fameux capitaine Paul Barril, lequel la croyait même carrément « née Folleraux » (L’enquête explosive, Flammarion 2000 ; page 47) – appelle une question : quelque habile magouilleur n’aurait-il pas profité de la ressemblance des deux patronymes pour persuader à un Houphouët déjà très diminué à cette époque, qu’il s’agissait du même nom de famille, et que cette Dominique était une proche parente de son regretté Raoul ? La chose n’est pas impossible, quand on sait que « [Depuis 1986-87,] le leader ivoirien ne [lisait] pratiquement plus rien qu’il s’agisse des documents officiels qu’il signe, de rapports confidentiels, de livres ou de journaux. Pour son information, il [était] tributaire des comptes rendus oraux de ses collaborateurs ou des lectures plus ou moins résumées que lui [faisait] son entourage. Les visiteurs [étaient] frappés par [sa tendance] à ne plus écouter que les flatteurs et les courtisans. » (Siradiou Diallo in Jeune Afrique Plus N° 2, sept.-oct. 1989). Suprême ironie de l’histoire, le 26 mai 2008, jour où elle recevait, en sa qualité de présidente de la Fondation « Children of Africa », « le prix de la meilleure présidente de structure de bienfaisance de la Côte d’Ivoire » décerné par « l’Interafricaine de communication et de sondage (ICS) », Dominique Ouattara s’est d’elle-même placée sous le signe de l’illustre quasi homonyme de son premier époux : « D’Abidjan à Dakar, en passant par Ouagadougou, Libreville, Madagascar ou Bamako, depuis 10 ans, la Fondation donne un peu de joie à des milliers d’enfants et de femmes en difficulté. A ce propos, l’humaniste Raoul Follereau disait : "Nul n’a le droit d’être heureux seul". » (Fraternité Matin 26 mai 2008). Magnifique acte manqué au sens freudien, qui renforce le soupçon d’une probable duperie à l’origine de la lucrative carrière de la future madame Ouattara dans l’intimité d’Houphouët…



UN VRAI CONTE DE FEES


Les débuts de cette carrière ressemblent à un vrai conte de fées, avec ses malheurs et ses bonheurs aussi inexplicables les uns que les autres. Arrivée très jeune en 1975 avec son premier mari, elle se lie très vite à Vamoussa Bamba, alors proviseur du lycée où son époux enseigne. Elle a à peine 21 ans et elle est déjà mère d’un premier enfant… 21 ans ! Même la bachelière la plus brillante, si elle a arrêté ses études à cet âge-là pour fonder une famille, on ne dira jamais d’elle que c’est une femme très instruite. Mais, apparemment, cela ne s’applique pas à notre héroïne puisque son peu de bagage intellectuel ne l’empêche pas d’être employée – (« un temps », dit la chronique) – comme professeur d’allemand dans le même établissement que son époux… Puis, en 1979, V. Bamba étant devenu ministre de la Construction, elle devient PDG de l’Agence ivoirienne de commercialisation immobilière (Aici) qu’il a créée, tout en exerçant, semble-t-il, d’autres métiers. En effet, avant son veuvage survenu en 1984, on « la retrouve, dit encore la chronique, à [la représentation de] l’Onu comme chargée d’administration auprès des experts », puis à « l’ambassade du Canada comme chef de bureau administratif » (Afrique magazine N° 85, octobre 1991 ; p.45). Deux places qu’elle aurait également dues à la protection de V. Bamba… Selon la même source, c’est encore V. Bamba qui l’aurait introduite auprès de son parent Abdoulaye Fadiga, l’ancien gouverneur de la Bceao auquel Alassane Ouattara succédera après son décès en 1988. A son tour, A. Fadiga l’aurait repassée à Houphouët lors d’un séjour de celui-ci à Touba, sa ville natale…
Ainsi, dès le milieu des années 80, Dominique Folloroux possédait un entregent considérable et des mieux logés. Une réussite aussi remarquable ne pouvait pas manquer d’alimenter la rumeur. L’entreprenante et chanceuse femme d’affaires était, d’après la même chronique,  regardée « comme une intrigante ayant ses entrées au palais présidentiel ; comme une égérie du régime d’Houphouët abusant de son influence sur les hommes au pouvoir, et dont la villa donnait l’impression, certains jours, d’accueillir au grand complet le conseil des ministres de la République. » Tout dans ces rumeurs n’était sans doute pas des inventions d’imaginations malveillantes. Investie de la confiance du chef de l’Etat et ayant sous son contrôle des biens considérables parmi lesquels, vu le caractère « patrimonial » du régime, il eût été bien malaisé de distinguer les biens propres d’Houphouët et de sa famille de ceux de l’Etat et de la nation, Dominique Folloroux était effectivement un personnage très important, quoique non officiel, une sorte de La Vallière ou de Pompadour à l’ivoirienne. Elle jouissait pleinement du pouvoir, de ses avantages et de ses privilèges. Toutes choses dont les turbulences de la charnière des années 80 et 90 menaçaient de tarir définitivement la source. Dès lors, n’était-il pas normal qu’elle s’employât à les conserver en inventant à cet effet quelque moyen imparable…
Une première invention, géniale, fut, début 1990, dès la première alerte, le déménagement du siège social de sa société de commercialisation immobilière d’Abidjan à Paris, et la transformation de l’Agence ivoirienne en une Agence internationale. Ainsi elle ne perdait rien, pas même le premier « i » de son sigle « Aici » ; et puis au cas où, à Abidjan, quelque magistrat vétilleux aurait eu l’idée d’y regarder de trop près, sa société était à l’abri du droit ivoirien… Et l’autre invention, quelle fut-elle ? Ce fut peut-être le remariage avec Alassane Ouattara, qui fit de ce dernier, par défaut si je puis dire, à la fois le seul héritier et l’exécuteur testamentaire d’un Houphouët étrangement mort intestat. C’est ce que semble suggérer un ancien ambassadeur de France en Côte d’Ivoire lorsqu’il remarque, à propos de la nomination par Houphouët d’Alassane Ouattara comme Premier ministre, que « Les raisons de ce choix furent multiples, la compétence de ce dernier se doublant d’une vraisemblable intrigue de sérail. » (Christian Dutheil de La Rochère, Marchés tropicaux et méditerranéens, 5 janvier 2001). Quand l’idylle entre celle qui était déjà si solidement installée dans le système et le nouveau venu auquel une succession d’étonnants hasards venaient d’offrir l’opportunité d’y pénétrer à son tour s’est-elle nouée ? Mystère ! Mais qu’importe ? Du point de vue de nos deux tourtereaux, l’essentiel était sans doute que cela advint au moment le plus opportun, c’est-à-dire juste la veille où la succession de l’opulent autocrate allait s’ouvrir. Quoi d’étonnant à ce qu’une personne qui avait si bien fait son nid au plus confortable du « grand baobab », désirât continuer d’y percher tant que l’arbre hospitalier restait debout ? Alors, le deuxième mariage de la veuve Folloroux est peut-être un authentique mariage d’amour ; mais son deuxième mari, alors Premier ministre et déjà favori de la fameuse « communauté internationale » dans l’ordre de succession à la tête de l’Etat ivoirien, était aussi l’homme le plus à même de la maintenir ou de la réintégrer dans la position qu’elle occupait pendant les dernières années de règne de son ancien protecteur.



LE RÊVE FOU DE GHOULEM BERRAH


Dans le sérail, avant l’arrivée de Ouattara, la future Mme Ouattara a forcément côtoyé Ghoulem Berrah, qui, à cette époque, caressait aussi l’espoir de s’emparer de l’héritage d’Houphouët. Berrah était officiellement le « représentant personnel » d’Houphouët et son « conseiller pour les relations avec les pays islamiques ». Lors du congrès de 1990 où le Pdci devait pourvoir au poste de secrétaire général nouvellement rétabli, il poussa un certain Ahmed Bassam, son protégé, à se porter candidat à ce poste, au grand scandale des vétérans de l’ancien parti unique. L’épisode aurait donné lieu à cette délicieuse scène de genre entre ledit représentant personnel d’Houphouët et Jean Konan Banny, l’un des prétendants indigènes à la charge de secrétaire général du Pdci :


Banny (s’adressant à Berrah) – Je ne suis pas du tout content de vous.
Berrah – Si c’est une affaire personnelle, cela peut se régler, mais si c’est politique…
Banny – Parce que maintenant vous faites de la politique ! (La Lettre du continent N° 136, 11mars 1991)


Cette charmante saynète montre l’insondable candeur d’un ministre en exercice qui, apparemment, ignorait comment le régime dont il était l’un des plus hauts dignitaires fonctionnait dans la réalité… Car dans le système Houphouët tel qu’il fonctionnait, un Ghoulem Berrah était autrement important qu’un Jean Konan Banny. Je ne saurais dire si l’un et l’autre faisaient de la politique, mais si tel était le cas, la part du premier y était certainement plus effective que celle du deuxième. Et on pourrait dire la même chose de tous les Ivoiriens de la même catégorie. Citoyens frustrés et d’autant plus jaloux de leurs droits en tant que naturels du pays, ils aspiraient réellement à y être les seuls à y « faire de la politique ». Mais, en même temps, ils reconnaissaient à Houphouët tous les pouvoirs exorbitants qu’il s’était arrogés, comme par exemple de ne s’entourer que d'étrangers. Dès lors, bon gré mal gré, ils devaient subir les conséquences de cette servitude volontaire, l’une d’elles étant la suprématie de fait dont jouissaient, par rapport aux nationaux quelle que fût la position de ceux-ci dans l’Etat ou dans la société, les collaborateurs étrangers du chef de l’Etat. Bref, ils rêvaient sans cesse de vivre pleinement leur citoyenneté et, en même temps, par leur acceptation inconditionnelle des caprices d’Houphouët, ils s’ôtaient toute possibilité de réaliser leur rêve.
Alors que le mot n’existait pas encore, la scène drolatique à laquelle le raid avorté de G. Berrah sur le secrétariat général du Pdci aurait donné lieu entre lui et J. Konan Banny, apparaît comme une préfiguration les vaines gesticulations auxquelles le président Bédié et ses théoriciens de l’ivoirité, se livreront lorsqu’ils seront confrontés aux premières offensives des Ouattara.



NOUS AVONS BEAUCOUP DE CHOSES A FAIRE ENSEMBLE


Qui donc était Berrah ? Comment est-il arrivé en Côte d’Ivoire ? Et comment est-il devenu le confident exclusif d’Houphouët ? Dans ce qui nous est donné pour ses Mémoires (posthumes, à paraître), l’intéressé répond lui-même à ces questions : « Tout en poursuivant ses études aux Etats-Unis, Dr  Ghoulem Berrah  continue son activité militante pour défendre la cause de l’Algérie et se rend régulièrement aux Nations Unies pour suivre l’évolution des débats sur la guerre d’Algérie et s’informer de la situation internationale. En mai 1962, le président Houphouët et son épouse, en visite officielle aux USA sont les hôtes d’honneur du couple présidentiel Kennedy à un dîner d’Etat (State dinner). Le président ivoirien, par l’intermédiaire de son ambassadeur Usher Assouan, représentant permanent de la Côte d’Ivoire aux Nations-Unies (ami de Ghoulem Berrah depuis Bordeaux), l’a invité à lui rendre visite à son hôtel Le Waldorf Astoria à New-York et, au cours de leur entretien dans une atmosphère tout à fait familiale, lui a posé des questions sur ses études, la révolution algérienne, ses projets et lui a dit sans détours, "l’Amérique n’a pas autant besoin de vous que l’Afrique, nous sommes en pleine construction, venez nous aider et lorsque vous serez fatigué, vous serez libre d’aller où vous le souhaitez. Nous avons beaucoup de choses à faire ensemble". Après cette entrevue, il retourne achever sa thèse et conserve des contacts avec le président Houphouët. Après l’indépendance, il est retourné dans son Algérie natale où il a rêvé de vivre. Fortement déçu par l’orientation prise par le président Ben Bella, son séjour ne dure que dix jours, il repart pour Yale (USA). Tout en poursuivant son enseignement et la recherche, il est décidé à œuvrer pour un monde meilleur en aidant au développement de l’Afrique, convaincu qu’un niveau égal de développement reste le seul chemin pour la paix et la compréhension entre les hommes. En 1965, il répond à l’appel du président Houphouët. » (D’après Alley Djouka. Source : http://www.docteurberrah.com/). Ainsi la rencontre de cet autre natif d’Algérie et la Côte d’Ivoire aurait été aussi féerique, aussi truffée de mystères, que celle de la Constantinoise Dominique Nouvian.
Par comparaison, le cas d’Ahmed Bassam est, si j’ose dire, d’une navrante banalité… Citoyen ivoirien d’origine malienne, Ahmadou Traoré (de son vrai nom) aurait été présenté à Houphouët par G. Berrah. L’histoire ne précise pas l’année de cette présentation. Le personnage fit son apparition sur la scène publique vers le milieu de l’année 1990. Au plus fort du « Printemps ivoirien », il créa le club de soutien « J’aime le Pdci » ; c’est ainsi qu’il aurait gagné la confiance d’Houphouët. Puis, fort du soutien financier de la « présidence », il multiplia ses activités sur le terrain et dans les médias. Pour le récompenser de son zèle, Houphouët lui offrit l’exclusivité du marché du ramassage des ordures ménagères à Abidjan, et sa société, Ash International, remplaça la Sitaf dissoute en raison de son incapacité à assurer le service.
Les noms d’A. Bassam et de Berrah n’apparurent qu’assez tardivement dans le long feuilleton de l’affaire Ouattara proprement dite. Après l’échec de sa tentative de s’emparer de la direction du Pdci, Berrah lui-même semblait avoir totalement disparu du paysage ivoirien comme Alain Belkiri ou Antoine Césaréo, emportés l’un et l’autre par la bourrasque de 1990. Il est vrai que lui n’était pas aussi exposé que ces deux-là, tout en étant l’un des personnages les plus proches d’Houphouët ; « l’un de ceux, écrit un chroniqueur, qui restaient tard chez le Vieux, pour faire la conversation avec lui ou l’écouter. » (Jeune Afrique économique N° 175, janvier 1994 ; p. 30). Après la disparition de celui dont il était le représentant personnel – soit dit à propos, G. Berrah fut le seul à porter ce titre et à remplir cette fonction –, lui aussi était devenu orphelin. Or, un tel homme, s’il fut capable d’imaginer qu’il pouvait placer son protégé à la tête du Pdci comme secrétaire général, il peut très bien avoir aussi caressé le projet de pousser ou, au moins, d’aider un personnage plus présentable, tel que Ouattara par exemple, à s’emparer du pays afin de conserver, voire d’augmenter grâce à lui ce qu’il s’était déjà acquis par les services rendus à Houphouët. Ce n’est là, évidemment, qu’une hypothèse, mais c’est une hypothèse très plausible quand on considère le fil d’Ariane qui, partant d’Ahmed Bassam, celui qu’il a mis en selle en le présentant à Houphouët, nous conduit d’une part jusqu’à lui, et d’autre part jusqu’au couple Alassane et Dominique Ouattara… Dans sa livraison du 29 mars 2001 (N° 373), La Lettre du continent rapporte qu’après la fuite précipitée des Ouattara lors des tragiques événements d’octobre 2000, leurs meubles furent récupérés et mis à l’abri par Ahmed Bassam dans l’ancienne villa de G. Berrah qu’il avait rachetée.



UN DROIT D’AUBAINE A L’ENVERS


Cette première tentative de captation de l’héritage d’Houphouët révèle l’état d’esprit qui dominait, à la charnière 1980-1990, chez les familiers d’Houphouët, tous des étrangers comme G. Berrah, qui exerçaient sur le vieil homme malade une influence d’autant plus grande qu’ils étaient pratiquement les seuls à pouvoir l’approcher vraiment. C’est à leur propos qu’un chroniqueur écrivait : « Il y a dans l’entourage du chef de l’Etat trop de gens qui n’ont pas intérêt à ce qu’il raccroche, et qui sont disposés à tout faire pour le dissuader de prendre une retraite largement méritée. Le pays est leur otage… Ils préfèrent sauvegarder leurs privilèges plutôt que de voir la Côte d’Ivoire redécoller. Le président aussi est leur otage puisque nous ne pouvons plus l’approcher sans passer par eux. » (Jeune Afrique N° 1522. P. 23). L’idée qu’ils avaient de la Côte d’Ivoire découlait de la manière dont ils voyaient Houphouët gouverner en s’appuyant de préférence sur des étrangers –  c’était justement le cas d’Alassane Ouattara dont, aux dires de l’ancien ambassadeur C. Dutheil de La Rochère, « [la] nomination [comme Premier ministre] tenait aussi au fait que [sa] nationalité, élément qui indifférait à Houphouët, ne lui permettait pas d’intervenir dans la succession organisée par l’article 11 de la constitution, qui désignait le président de l’Assemblée Nationale. » (Marchés tropicaux du 5 janvier 2001) –, et en tenant les Ivoiriens naturels à l’écart de toutes les positions de vraie responsabilité. Aux yeux d’une Dominique Folloroux, d’un Ghoulem Berrah, d’un Ahmed Bassam ou d’un Alassane Ouattara, que la seule fantaisie d’Houphouët avait hissés d’un seul coup très au-dessus de tous ses compatriotes, la Côte d’Ivoire ne devait certes pas apparaître comme un vrai pays, c’est-à-dire un territoire aux frontières définies, avec son peuple et ses lois, mais tout juste comme un riche domaine agricole et forestier dont Houphouët était le seul et unique propriétaire, et qu’il administrait selon son bon plaisir. De sorte que Houphouët venant à disparaître un jour, le pays tout entier, ses ressources, ses habitants même, deviendraient autant de biens en déshérence que le premier venu, se prévalant d’une sorte de droit d’aubaine inversé, pourrait s’approprier en s’armant seulement d’un peu d’audace.  C’est ce dont Ghoulem Berrah ne put que rêver. Et c’est ce que, plus chanceux, Alassane et Dominique Ouattara réussiront.


Marcel Amondji

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9 juin 2012 6 09 /06 /juin /2012 17:26

 « Spécialistes de l’Afrique »

 

par Vincent Tohbi Irié - Fraternité Matin 6 juin 2012



Profession : « spécialistes de l’Afrique ». Ce sont, en fait, « les barbouzes de la pensée » que nous avions épinglés dans une chronique antérieure. Ils savent tout sur tout et sont appelés à la rescousse dans les analyses lorsque surviennent de petits événements sur le continent africain. Comment fait-on pour être « spécialiste de l’Afrique ?»
54 pays. Des milliers d’ethnies, de groupes, sous-groupes. Des populations noires, blanches, d’origine indienne et asiatique. Une géographie variée : des déserts, montagnes, savanes, mers, lacs, lagunes, fleuves, rivières, volcans. Des ensembles régionaux si différents et des climats contrastés : le nord, le sud, le centre, l’est et l’ouest. Plus les îles. Des  histoires et des peuplements différents. Des langues officielles, léguées par le colonisateur, qui ne sont pas les mêmes, du nord au sud, de l’est à l’ouest. Des niveaux de développement loin d’être homogènes. Comment fait-on pour maîtriser et connaître tout cela en même temps ? Eux le font, les spécialistes de l’Afrique, qui, sur les plateaux de médias occidentaux, débitent leurs connaissances livresques et qui, dans un élan de générosité suspect, dispensent les Africains eux-mêmes de venir parler des questions qui les concernent.
Il n’y a pas de doute, les universités occidentales sont excellentes. Certaines d’entre elles ont à leur actif des siècles d’expériences, de recherches et d’enseignement, qui en font les dépositaires de la connaissance. Elles conservent des archives célèbres. Les meilleures archives et documentations sur l’apartheid, par exemple, ne se trouvent pas en Afrique du Sud, mais dans un établissement américain, une autre partie serait dans les bibliothèques du Sénat  américain. Le reste du monde, Asie, Afrique, Amérique latine, se presse aux portes des universités occidentales pour  former les meilleurs élèves. Elles ont une réputation qu’il serait malsain de remettre en cause. Mais de là à ce qu’elles soient capables de fabriquer des « spécialistes de l’Afrique », c’est-à-dire des personnes connaissant tout de l’Afrique, il y a quand même quelques doutes.
Qui peut se targuer de connaître la petite Côte d’Ivoire, par exemple, de fond en comble ? L’histoire de tous ses groupes migratoires ? Les parentés à palabres, les dynamiques sociologiques et de micro-développement, les aspirations des communautés sont si différentes, si antagonistes. Le tout placé dans des contingences locales achève de  compliquer la compréhension de certains événements. On ne peut, par conséquent, qu’avoir des certitudes dans des domaines spécifiques : l’ethnographie, l’économie, la religion, la politique, l’urbanisation, l’eau, les flux migratoires, l’éducation, la santé, l’armée, la police, la pluviométrie, la faune et la flore, les infrastructures, etc. Mais être spécialiste de tout cela, il faut avoir une tête très grosse…au propre. Ramener ces domaines à toute l’Afrique pour en  être un expert, une tête de mammouth ne suffirait pas.
Et pourtant ces spécialistes forgent les opinions et fondent des comportements entre Africains et vis-à-vis des Africains. Leurs seules apparitions sur les plateaux de télévision indiquent qu’il y a du feu quelque part sur le continent et qu’évidemment, les perspectives ne sont pas bonnes. Il est vrai qu’il est à la traîne du respect des droits de l’homme, de la paix, du développement, de l’harmonie entre communautés, mais il y a tant de beautés et de merveilles naturelles, tant de contes de fées passés au second plan des analyses des spécialistes de l’Afrique. Nous avions observé, pendant les récentes élections en France, que très peu d’Africains avaient été conviés aux hauts débats sur la politique française sur les chaînes occidentales.
Il est insultant que les Africains se fassent dire que les autres les connaissent mieux qu’eux-mêmes. Mais si ces Africains apprennent à valoriser leurs propres ressources humaines et à permettre des spécialisations, ils seront moins enclins à écouter leurs propres histoires de l’extérieur. Il est temps que l’oralité urbaine et politique soit bannie. Il faut  écrire sur papier, ses opinions et son histoire, ses rêves et ses regrets, ses défaites et ses faits de haute lutte, ses  fantasmes et ses visions, ses ambitions et ses stratégies, ses espoirs et ses doutes, son adhésion aux idéaux du pays ou  sa révulsion pour certaines politiques. C’est en constituant cette bibliothèque de connaissances réellement africaines que les savoirs sur l’Afrique s’y déplaceront. Sinon, les « spécialistes de l’Afrique » continueront à déverser leurs gais et douteux savoirs sur les fils d’Afrique.
Avez-vous déjà entendu quelqu’un s’affubler en Europe du titre de « spécialiste de l’Europe » ? Non. On ne se ment pas à soi-même. On peut le faire quand on vient de loin, mais pas quand on est chez soi. On n’est jamais « spécialiste  de l’Europe », mais « spécialistes des questions européennes », il y a nuance : l’intégration, la monnaie, l’énergie, la Commission européenne, le Parlement européen, etc.



EN MARAUDE DANS LE WEB

Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens, et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne».

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6 juin 2012 3 06 /06 /juin /2012 00:22

Qui sont ces hommes qui, dans la nuit du 19 septembre, ont fait basculer tout le nord du pays dans le but de prendre le pouvoir ? Ils appartiennent à la "Cosa nostra", que dirige le sergent-chef "IB", installé à Ouagadougou.

Somgandé est un vieux quartier de Ouagadougou, dans le nord de la capitale du Burkina Faso, sur la route qui mène à Ziniaré, le village du président Blaise Compaoré.

Entre une zone industrielle et une forêt classée, une cité pavillonnaire y a été implantée dans les années 1980, à  l'époque où le "pays des hommes intègres" se disait révolutionnaire. Dans ces villas à l'identique, un peu personnalisées au fil du temps, des "policiers ivoiriens" logeaient encore il y a trois semaines. Leurs voisins les appelaient ainsi parce qu'ils les apercevaient, le soir, assis sur leur terrasse, en uniforme, armés. En revanche, les mêmes étaient en civil quand ils sillonnaient la ville à bord de 4x4 rutilants, quand ils écumaient le Jimmy's ou le Papa Gayo, leurs boîtes de nuit préférées. Maintenant, sauf pour l'un d'entre eux, tous sont partis faire le coup de feu en Côte d'Ivoire. Qui sont-ils ? Quel est l'itinéraire qui les a faits "rebelles" ? Pour comprendre, il faut revenir douze ans en arrière...

En 1990, la Côte d'Ivoire n'a pas d'armée. Partant du principe "pas d'armée, pas de coup d'Etat", Félix Houphouët-Boigny, le premier président et "père" de la nation, s'en passe aisément. Dans un pays grand comme les deux tiers de la France, il n'entretient qu'une troupe d'opérette – moins de 5 000 hommes – dont les chefs bedonnants s'alignent sur le tarmac pour le saluer à ses départs à l'étranger, à ses retours de voyage. En cas d'agression extérieure, il y a l'armée française, avec ses forces "prépositionnées" sur une base attenante à  l'aéroport d'Abidjan ; pour les besoins du maintien de l'ordre, la police et, surtout, une gendarmerie bien équipée  font l'affaire. En tout cas jusqu'en 1990, quand le "réveil démocratique" change la donne. Conspué dans la rue  par la foule, le "Vieux" charge d'une mission d'inspection le général Jeannou Lacaze, ex-chef d'état-major de  l'armée française. C'est alors que des chicanes sont installées autour de la présidence au cœur d'Abidjan, que  l'accès à la résidence du chef de l'Etat est barré. Se sentant menacé par les cortèges qui hurlaient "Houphouët, voleur !" sous sa fenêtre, l'autocrate débonnaire se dote d'une vraie armée vers la fin de son règne plus que trentenaire. Il en confie le commandement à un saint-cyrien, le général Robert Guéi. "Cet homme aime trop  l'argent", le met en garde son entourage. "Justement, je lui en donnerai", répond Houphouët-Boigny.

Le général Guéi sert son bienfaiteur loyalement. A tel point qu'il fait descendre, en 1991, sa toute nouvelle unité  de "para-commandos" sur le campus universitaire de Youpougon, le grand faubourg populeux d'Abidjan. La répression est sauvage, mais le calme revient. Cependant, quand "l'héritier constitutionnel" d'Houphouët-Boigny, le président Henri Konan Bédié, veut réquisitionner l'armée à la veille de sa première épreuve électorale, en 1995, pour faire face au "boycottage actif" des urnes décidé par l'opposition, le chef d'état-major de l'armée s'y refuse. En plusieurs étapes, le général Guéi est alors limogé et, pour finir, rayé des cadres. Le 24 décembre 1999, il se venge en prenant le pouvoir à la tête des mutins, sortis des casernes pour réclamer leur solde. Sous les vivats de la population, le "Père Noël en uniforme" promet de réconcilier la Côte d'Ivoire avec elle-même.

Tout le monde pense alors que, dans l'ordre et la stabilité retrouvés, il va mettre un terme à la venimeuse querelle  de l'"ivoirité". Cette arme fatale sert, dans le combat des chefs qui s'est engagé après la mort d'Houphouët-Boigny, en décembre 1993, à exclure l'un des héritiers du "Vieux", l'ex-premier ministre Alassane Dramane  Ouattara, surnommé "ADO". Originaire du Nord, musulman, ancien fonctionnaire international pour le compte  du Burkina Faso, il est empêché de se présenter aux élections au motif de sa "nationalité douteuse". Parti en exil  en France, il rentre au pays dès les premiers jours de janvier 2000, en glorifiant le premier coup d'Etat dans  l'histoire ivoirienne comme l'équivalent de la "révolution des œillets" au Portugal.

Mais les réalités ont la vie dure. Pays de forte immigration à partir du Sahel, le "miracle" économique ivoirien  ayant pris le relais des déplacements forcés de main-d'œuvre vers les plantations en zone forestière à l'époque  coloniale, la Côte d'Ivoire ne se débarrasse pas de ses problèmes. Un quart de sa population est d'origine étrangère, dont 2,2 millions de Burkinabés, soit à eux seuls 15 % des habitants. Certes, un "étranger" sur deux est  né en Côte d'Ivoire, mais dans la "boucle du cacao", dans le Sud-Ouest, des villages burkinabés homogènes, à  part, donnent aux autochtones le sentiment d'être colonisés sur leurs terres ancestrales. Dans deux départements,  les "allogènes" sont même majoritaires. A Abidjan, la métropole côtière, un habitant sur trois est immigré. Or  non seulement la natalité et le pourcentage des musulmans parmi les "étrangers" sont supérieurs à ceux des Ivoiriens de souche, mais leur taux d'activité est aussi sensiblement plus élevé : 75 %, contre 57 % pour les  "authentiques fils du pays". Quand on y ajoute que les étrangers disposaient du droit de vote du vivant de Félix  Houphouët-Boigny, on mesure le potentiel de xénophobie qui n'attend qu'à être exploité par des apprentis sorciers de la démocratisation.

En juin 2000, désireux de se maintenir au pouvoir, le général Guéi change son fusil d'épaule. Six mois après  avoir pris le pouvoir, et quatre mois avant de se présenter aux élections, il rejoint le camp de la majorité dite "TSO" : "tout sauf Ouattara". A ce moment, il rompt avec ses frères d'armes, proches de l'opposant, qui l'avaient hissé sur le pavois. Parmi eux, des sous-offs peu connus, mais qui avaient été décisifs aux heures chaudes du putsch. Au lendemain du coup de force, ils avaient été récompensés en intégrant qui le Groupe de sécurité présidentielle (GSRP), qui un bataillon blindé ou une autre unité d'élite. Jusque-là, ils avaient joui d'une impunité totale. S'étant parallèlement organisés dans des bandes armées informelles, telles que les brigades rouges, les  "zinzins" ou les bahéfoué (sorciers), ils avaient racketté et terrorisé la population. Par centaines, et pour finir par  milliers, ils ont fait entrer dans l'armée leurs "petits frères", parents pauvres de leurs ethnies.

L'été 2000, pour ceux d'entre eux qui, souvent originaires du Nord comme lui, avaient pris fait et cause pour Alassane Ouattara, c'est la fin de la récréation. Ils sont évincés de leurs postes lucratifs, parfois arrêtés et torturés.  Ex-prébendiers ou nouveaux demi-solde, ils n'auront plus qu'une seule idée : prendre leur revanche, les armes à  la main. Dès septembre, une première conjuration aboutit à l'attaque du domicile du général Guéi qui, informé,  laisse faire et tend un piège meurtrier à ses anciens compagnons d'armes. Ce fut "le complot du cheval blanc", du  nom de la monture du chef de l'Etat, l'unique victime des assaillants.

En octobre 2000, empêchant à son tour Alassane Ouattara de se présenter, le général Guéi tente de se faire élire  président. Mais son seul rival resté en lice, avec lequel il croyait s'être entendu, le "roule dans la farine", comme  il dira plus tard : Laurent Gbagbo, opposant de longue date à Houphouët-Boigny, ne se résigne pas à servir de caution au plébiscite du général, en échange d'un poste au gouvernement. Il mène campagne et, en l'absence  d'autres concurrents, gagne. Le 25 octobre, il faut un soulèvement populaire pour chasser Robert Guéi de la  présidence, défendue par ses miliciens autour du sergent-chef Boka Yapi, au prix de nombreuses victimes. Le  socialiste Gbagbo accède au pouvoir, mais, lui aussi, frappe d'ostracisme "ADO", le chef de file du Rassemblement des républicains (RDR). Le 4 décembre 2000, un quotidien du RDR, Le Patriote, publie à la  "une" la carte du pays coupé en deux : les treize départements du Nord y sont arrachés au Sud, la déchirure  s'opérant à la hauteur de Bouaké, la ville carrefour au cœur de la Côte d'Ivoire. En fait, cette fracture épouse l'actuelle ligne de front, celle qui sépare les insurgés du 19 septembre et les forces loyales au président Gbagbo. Il y a deux ans, elle annonçait le spectre de la sécession du Nord. Elle rappelait, aussi, que les frontières du pays  avaient été fluctuantes. Entre 1932 et 1947, la Basse-Côte d'Ivoire et la Haute-Côte d'Ivoire, tout l'ouest du Burkina Faso d'aujourd'hui, formaient un seul et même pays. Artificielles, imposées par un coup de crayon du  colonisateur, les frontières de la Côte d'Ivoire sont menacées par les contours d'une crispation identitaire qui  cherche à les retracer autour de "communautés" tout aussi arbitraires.

Homme-clé du putsch de Noël 1999, puis garde du corps d'Alassane Ouattara, avant de fuir le pays pour échapper à la vindicte du général Guéi, le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, dit "IB", tente depuis deux ans de  rectifier l'histoire de la Côte d'Ivoire à la pointe du fusil. D'abord éloigné du pays comme attaché militaire de  l'ambassade ivoirienne au Canada, il s'est ensuite installé à Ouagadougou, au quartier Somgandé. Il est devenu le  bras séculier d'une cause : celle du nord de la Côte d'Ivoire, la moitié humiliée du pays, la patrie des "grands  boubous", des commerçants musulmans. Les 7 et 8 janvier 2001, "IB" est impliqué dans "le coup de la Mercedes noire", la limousine escortée d'un convoi de 4x4 qui, venant du Nord, fait route vers Bouaké, en même temps que  des éléments armés à Abidjan, 450 km plus au sud, attaquent la résidence du président Gbagbo. Cette tentative de prise de pouvoir tourne court. Rétrospectivement, elle apparaît comme la répétition générale de la mutinerie à  Abidjan d'un bataillon appelé à être démobilisé et qui, dans la nuit du 19 septembre, s'est muée en insurrection et  a fait basculer tout le Nord. Depuis, cette rébellion cache son visage politique. Elle veut renverser le pouvoir en  place, mais fait accroire qu'elle n'a pas de chef, seulement des "porte-parole".

Le plus connu d'entre eux est le sergent-chef Tuho Fozié. Agé de 38 ans, Mandingue d'Odiéné, dans l'extrême  nord-ouest de la Côte d'Ivoire, était du putsch de Noël, puis dans la garde rapprochée du général Guéi. L'été  2000, lors de la grande scission entre frères d'armes, il échappe à l'arrestation et fuit à l'étranger. Il ne revient que  pour participer au "coup de la Mercedes noire", ce qui lui vaut une condamnation par contumace à vingt ans de  prison pour "abandon de poste, violation de consigne, atteinte à la sûreté de l'Etat, assassinat, tentative d'assassinat". Le 1er octobre, onze jours après le début du soulèvement, c'est lui qui révèle le nom que finissent par se donner les rebelles : Mouvement patriotique de Côte d'Ivoire.

C'est au nom du MPCI qu'il négocie avec les médiateurs ouest-africains. Mais il n'est qu'un porte-parole parmi  d'autres. Qu'a-t-il en commun avec son alter ego à Korhogo, l'adjudant-chef Massamba Koné, ou avec le caporal  Omar Diarrasouba, dit "Zaga-Zaga", les sergents-chefs Iréné Kablan et Souleymane Diomandé, surnommé "la  Grenade" ? Il fait partie du premier cercle autour d'"IB", le chef de tous ces sous-officiers déserteurs au sein  d'une organisation clandestine, la Cosa nostra. Celle-ci, basée à Ouagadougou, fournit le noyau organisationnel à  l'insurrection. Grâce à un généreux bailleur de fonds, elle a recruté à tour de bras, d'abord dans les pays voisins,  ensuite en Côte d'Ivoire. Elle a acheté des uniformes et des pataugas neufs, des armes en grande quantité. Elle a  pourvu en numéraire des combattants payant cash, et s'abstenant de piller, pour gagner la bataille des cœurs et  des esprits. Leur opération, d'une si grande envergure, a-t-elle pu se monter à l'insu des autorités burkinabés ?

Seul "IB", le sergent-chef Ibrahim Coulibaly, est resté à Ouagadougou. Tous ses camarades ont quitté leurs  maisons de Somgandé pour faire la guerre en Côte d'Ivoire. Il y a trois semaines, le sergent-chef Fozié occupait  encore la villa 1023, au portail blanc. Maintenant, lui et les autres forment l'épine dorsale de la rébellion. Cependant, les ponts n'ont pas été coupés entre le front et la base arrière : quand un journaliste de l'AFP, Christophe Koffi, soupçonné d'être un espion, a été détenu par la rébellion dans le nord de la Côte d'Ivoire, il a  été emmené une nuit dans un convoi, ficelé sur le plateau d'un pick-up, jusqu'à la frontière burkinabé. Là, un homme en civil a traversé la rivière frontalière, la Lerada, sur une petite embarcation, pour s'entretenir, pendant  des heures, avec ses compagnons d'armes.

Pour Christophe Koffi, ce mystérieux chef rebelle a pris une décision heureuse : le journaliste a été libéré le  lendemain. Sollicité par Le Monde, "IB" n'a pas voulu dire si l'on pouvait le remercier pour cette preuve de mansuétude. Peut-être n'avait-il pas envie, surtout, de répondre à la question de savoir s'il se battait pour son  propre compte ou pour celui d'un Etat et d'un homme politique ivoirien...


Stephen Smith, avec Damien Glez et Vincent Rigoulet à Ouagadougou

Le Monde 11 octobre 2002
(Source [malilink])


EN MARAUDE DANS LE WEB

Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenances diverses et qui ne seront pas nécessairement à l'unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu'ils soient en rapport avec l'actualité ou l'histoire de la Côte d'Ivoire et des Ivoiriens et que, par leur contenu informatif, ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la «crise ivoirienne ».

Le cercle victor biaka boda

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4 juin 2012 1 04 /06 /juin /2012 15:28

« …tout le monde, y compris mes camarades d’HEC, se demandent pourquoi je m’entête à rester en Afrique, alors que j’aurais pu opter pour une brillante carrière internationale (…). C’est difficile à comprendre (…) …seuls ceux qui ont la foi peuvent comprendre pourquoi je l’ai fait. Néanmoins je voudrais vous donner quelques explications.
Tout d’abord, notre vie sur cette terre est très courte. Personne n’est éternel. Ce qui signifie que les biens terrestres ne nous servent à rien à notre mort. Alors, cela ne sert à rien de vouloir les accumuler au-delà de nos besoins. C’est pourquoi chacun de nous doit tout faire pour soulager les souffrances des autres, car si nous aimons Dieu que nous ne voyons pas, nous devons également aimer notre prochain que nous voyons tous les jours. Et dans ce cas, "il n’y a pas de plus grande preuve d’amour que de sacrifier sa vie pour ses amis" (Jean 15, verset 13). Or vous êtes plus que des amis, vous êtes mes frères. C’est pourquoi j’ai accepté de supporter, durant mes 20 années de combat, tous les sacrifices qui sont parfois très lourds, mais qui sont nécessaires pour que mes frères puissent bénéficier des richesses que Dieu a mises à leur disposition. C’est cela le sens de mon Combat !
(…) si nous écoutons Dieu, nous aurons son aide divine pour accomplir le 2e Miracle Ivoirien. (…). En revanche, si nous refusons d’écouter Dieu, en refusant sa solution, alors les calamités vont continuer à s’abattre sur nous. Et l’histoire de l’humanité nous a montré de multiples exemples… J’ajoute que, depuis 20 ans, Dieu m’a mis à cœur (sic) pour faire comprendre à mes frères Ivoiriens que Dieu a choisi la Côte d’Ivoire pour être le "Japon de l’Afrique", c’est-à-dire pour servir de modèle de développement aux autres pays africains, afin que tous les Africains deviennent tous prospères. »
(propos recueillis par Assalé Tiémoko, L’Eléphant déchaîné 1er au 4 juin 2012)


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Ce n’est pas sans surprise ni sans inquiétude que j’ai lu, dans L’Eléphant déchainé (01-04/06/2012), l’interview du nommé Thierry Tan  par Assalé Tiémoko, dont j’ai tiré ces extraits… En fait il ne s’agit pas d’une interview originale, et elle n’est même pas récente ; c’est le recyclage d’un texte paru dans L’Inter le 24 janvier 2008, sous la signature de Charles d’Almeida ; texte que ce dernier lui-même avait repiqué à partir d’un CD mis en circulation par Thierry tan sous le titre de « Ma vision pour la Côte d’Ivoire ». La soi-disant interview de T. Tan par Tiémoko Assalé n’est donc qu’un bidonnage, une escroquerie médiatique. Comme on dit : qui se ressemblent s’assemblent !

Assalé Tiémoko, je crois bien que c’est ce jeune journaliste dont l’incarcération, sous le régime précédent, avait provoqué une campagne de dénonciation virulente de certaines personnes aujourd’hui fort bien en cours, en particulier l’actuel ministre de l’Agriculture… Espérons que ce n’est pas là un lien de cause à effet.

J’ignore quel âge avait le citoyen Assalé vers 1995-1996 et ce qu’il faisait en ces temps-là. Travaillait-il déjà comme journaliste ou était-il encore étudiant ? Et s’il pouvait avoir ignoré l’escroquerie au long court dont Thierry Tan fut le génial organisateur, et dont on fit grand bruit en partie parce qu’il s’en était fallu de peu que la Bad ne figurât au nombre de ses victimes. Ou s’il a estimé que c’était de l’histoire ancienne, et que l’homme parlant comme un dévot dont il prétendait rapporter les paroles, n’était plus le même homme que l’escroc de naguère. En tout état de cause, donner pour une interview originale ce qui n’est que le repiquage du texte d’autopromotion d’un escroc déjà condamné par la Justice ivoirienne, c’était prendre le risque de se faire complice d’un truand qui, peut-être, est à la recherche de pigeons en vue de son prochain méfait…

En souhaitant qu’il n’y ait eu, en l’occurrence, qu’imprudence ou manque occasionnel de vigilance, je lui dédie, ainsi qu’à tous ceux qui n’ont pas connu cette affaire ou qui l’ont oubliée, cet article qu’elle m’avait inspiré à l’époque.

Le cercle Victor Biaka Boda.


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Cinq ans d’emprisonnement fermes …par défaut, 3 millions de francs d’amende et 150 millions de dommages et intérêts au bénéfice de la Banque africaine de développement (BAD) pour tentative d’escroquerie, faux et usage de faux.
Ce verdict a été rendu le 4 avril par le tribunal correctionnel d’Abidjan, à la grande satisfaction d’un nombreux public et …en l’absence du condamné, un certain Thierry Tan, Français d’origine vietnamienne (ou chinoise) né au Cambodge, et souffrant actuellement d’un très opportun décollement de la rétine impossible à transporter en avion, ce qui lui a évité d’avoir à comparaître en personne. Et pas à lui seulement, sans doute.
Ce Thierry Tan était, semble-t-il, très introduit dans le milieu des dirigeants ivoiriens, peut-être même au plus haut niveau ; mais cela, on ne peut que le supposer par des rapprochements avec maintes autres affaires similaires ou voisines, comme, vers le milieu des années 80, le rapt avec demande de rançon d’un ministre en exercice, dont il semble que la Justice ivoirienne n’eut jamais à connaître, ou le pillage par des proches du palais, de la SOGEFIA, qui mena quelques lampistes en prison le temps qu’on l’oublie. Ce qui semble tout à fait sûr, en revanche, c’est que cet homme, qu’on n’appelle plus aujourd’hui que l’aventurier Thierry Tan, bénéficia alors d’une telle confiance dans ces milieux qu’il fut appelé à conseiller plusieurs ministres.
Au début de l’année 1990, jouant très habilement de cette position forte, il sortit subitement de l’ombre de ses protecteurs en brandissant un mirifique projet de société. En quelques semaines seulement, il réussit à y intéresser des foules de gogos : des hommes politiques (il était, rappelons-le, le conseiller de certains d’entre eux), des hommes d’affaires, des fonctionnaires, des exploitants agricoles, de simples épargnants. Son truc ? Une société, IVOIR-CAFE, constituée en août 1992 en vue de produire du café soluble à partir de grains verts achetés sur place, au capital initial de 150 millions qu’il portera rapidement à 950 millions avec cotation de nouvelles actions à la Bourse des valeurs d’Abidjan (BVA), puis à 1.862.440.000 par voie de conversion de dettes, et dans laquelle il détenait 30,50% des parts. Il avait même réussi à obtenir de la BAD un engagement pour une prise de participation de 68 millions de francs et un prêt de 3,8 milliards. C’est d’ailleurs ce qui le perdra, si je puis dire, car il court encore.
Entre temps, alors que, semble-t-il, la société IVOIR-CAFE n’était même pas régulièrement constituée, elle était néanmoins cotée en bourse. Avec quelles complicités ? Cette dotation apportée par des petits épargnants, des sociétés d’assurance et des groupements à vocation de coopérative (GVC) s’élevait à… 860 millions, que Thierry Tan aurait touchés par l’intermédiaire d’un certain Me Serge Roux, notaire, et qu’il aurait aussitôt virés sur un compte bancaire, en France ou dans un paradis fiscal.
En revanche, sa tentative sur la BAD se heurtera rapidement à la vigilance de cette institution, sans doute parce qu’elle est indépendante des circuits politico-affairistes ivoiriens où ce Tan devait se sentir comme un poisson dans l’eau. En vue d’obtenir son prêt, en guise d’apport personnel, Tan avait présenté une première facture d’un montant de 490.201.524 francs CFA, datée de 1993, pour des travaux effectués au siège d’IVOIR-CAFE, mais à l’entête d’une société, EGESO, qui était, alors, officiellement en cessation d’activité depuis trois mois (des travaux avaient bien été effectués, mais par une autre société, LAVIBAT, dont le gérant, un certain Paulet, avait été le gérant de la défunte EGESO, et pour un coût très sensiblement inférieur : 8.080.000 francs) ; puis encore une deuxième facture d’un montant de 422.244.000 francs provenant d’une société domiciliée au Luxembourg (FINDEVIN), qui aurait aussi effectué des travaux pour sa société.
L’enquête diligentée par la BAD après le constat de ces bizarreries révéla aussi que deux autres sociétés domiciliées l’une à Genève (ROBILAC SA), l’autre à Londres (FIEDLAND), servaient également d’écrans à Tan. C’est ainsi que fut découvert le pot aux roses et que la banque interafricaine, quoiqu’elle n’ait rien perdu dans l’affaire, porta plainte contre l’homme qui voulait l’escroquer. C’est justement le procès qui vient d’être jugé en l’absence du coupable.
Mais, quid des victimes de l’escroc, les actionnaires floués d’IVOIR-CAFE, qui se compteraient par milliers ? Il paraît qu’on s’en occupe, à la mode houphouétiste. Le dossier IVOIR-CAFE était à l’ordre du jour de l’un des derniers conseils des ministres. Toutefois, le gouvernement du président Bédié, qui, au demeurant, n’a fait qu’hériter cet embarras de ses glorieux prédécesseurs, n’envisagerait pas d’action en justice, car ce qui le préoccupe surtout, c’est de sauver le projet nonobstant la défaillance de son indigne promoteur, parce que, assure-t-on, « bien géré, IVOIR-CAFE peut avoir des retombées favorables dans le cadre de la transformation locale des produits agricoles. » D’autre part, les gros sous des victimes de Thierry Tan ne sont peut-être pas perdus à jamais. Simplement, en ce qui les concerne, l’épilogue de cette ténébreuse affaire n’aura pas le palais de justice pour théâtre. Car nous sommes en Côte d’Ivoire. Ainsi qu’un chroniqueur le faisait finement remarquer, « Sous d’autres cieux on aurait, en pareilles circonstances, désigné maintes et maintes personnes, accusées de complicité, pour les vouer aux gémonies. Mais, en Côte d’Ivoire, l’on a toujours réprouvé cette façon de résoudre les problèmes. Ici, il s’agit plutôt de sauver un projet viable et en même temps, les intérêts des épargnants. »
Pas de doute ; La Côte d’Ivoire n’est pas n’importe quel pays. Le bonhomme Thierry Tan le savait bien, lui. Au Diable ! les paranos de la BAD…


Marcel Amondji
(Article paru dans Le Nouvel Afrique Asie N° 80, mai 1996 sous le titre : L’affaire Thierry Tan).

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3 juin 2012 7 03 /06 /juin /2012 16:59

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En marge de la réunion en cours de l’instance dirigeante suprême de l’ancien parti unique aujourd’hui en pleine crise identitaire, voici, à l’intention de ceux de nos lecteurs qui sont aussi des adhérents ou des sympathisants de ce parti – ce n’est pas impossible, et ce n’est pas un péché –, quelques réflexions sur son état vers le milieu des années 1980, qui, à en juger d’après certains bruits qui nous parviennent ces jours-ci du microcosme houphouéto-bédiéiste, n’ont peut-être pas cessé d’être actuelles, et qui pourraient donc les aider à y voir plus clair au moment où se pose la question de la survie du vieux parti sous ce régime dominé par ceux qui, il y a 18 ans, y jetèrent les premiers germes de la division.



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Dans la mémoire collective des Ivoiriens, l'image du Parti démocratique de la Côte-d'Ivoire (P.D.C.I.) doit tout son lustre à ce qu'il fut ou faillit être entre le 9 avril 1946, date de sa création, et le 6 octobre 1950, jour où Félix Houphouët, tirant à sa façon la leçon des graves événements suscités par la provocation du 6 février 1949, mit brutalement fin à ce qu'on peut bien appeler la période héroïque du P.D.C.I.-R.D.A.[1].
Toute étude de la structure, du fonctionnement et du rôle du parti unique actuellement au pouvoir doit commencer par la reconnaissance du fait que, dans son histoire depuis le jour où les Ivoiriens ont pu s'organiser librement, le pays a connu, non pas une, mais deux formes d'organisation politique, quoique sous une seule et même appellation.
En effet, si le parti au pouvoir porte le nom de P.D.C.I., il n'en demeure pas moins vrai que la formation politique déclarée en 1946 sous cette appellation fut pratiquement détruite par l'action du gouverneur Péchoux et par l'inaction de ses propres dirigeants en 1950 et après 1950 ; que ses militants les plus actifs furent persécutés, neutralisés ou assassinés ; que ses dirigeants les plus irréductibles furent bannis de la vie publique pendant de longues années ; et, enfin, en 1956, lorsque ce parti put à nouveau se présenter au grand jour à l'occasion des élections législatives, qu'il ne s'est pas agi d'une résurrection au sens biblique, l'auréole du P.D.C.I. ayant servi à coiffer tout autre chose que le vaste mouvement populaire spontané et résolument anticolonialiste des années 1940. Très exactement c'en était l'antithèse, la négation même, après l'abandon des objectifs qui avaient été ceux de ce mouvement, de ses méthodes de direction et d'intervention, et après le renversement des alliances d'alors. Engagé sur cette pente, il fut inévitablement entraîné à entreprendre des actions conjointes avec les pires adversaires du mouvement anticolonialiste, en particulier, avec les colons français de Côte-d'Ivoire et leurs alliés des partis et organisations anti-R.D.A. Dans les assemblées de Paris, il fut mis au service des partis qui l'avaient combattu en tant qu'il était le parti des vrais patriotes africains.
L'existence de deux périodes bien distinctes de l'histoire du P.D.C.I. est donc un fait évident. La coupure se situe à la charnière des années 1949-1950. De part et d'autre de cette charnière, le sigle P.D.C.I. a incontestablement recouvert deux réalités très différentes.
Il s'agit de réalités historiques ; c'est-à-dire que leur nature n'est pas déterminée par une volonté consciente des hommes qui ont contribué à leur émergence, mais par des conditions diverses dont les plus déterminantes étaient imprévisibles et incontrôlables.
Il serait, bien entendu, naïf de vouloir dissocier le P.D.C.I. en deux essences étrangères l'une à l'autre et parfaitement distinctes, dont l'une appartiendrait à l'ère d'avant et l'autre à l'ère d'après la date fatidique de 1950. Si une telle distinction est certainement utile du point de vue théorique, il ne faut pas, toutefois, perdre de vue que certaines conditions de leur apparition ou de leur existence peuvent être réalisées à des époques différentes. Seules changent les proportions dans lesquelles elles se mélangent aux conditions vraiment spécifiques et singulières. Par exemple, et pour s'en tenir aux seuls faits de conscience en tant qu'ils manifestent le rapport des forces en interaction à un moment donné, l'état d'esprit qui dominait parmi les Ivoiriens avant 1950 n'a pas disparu de la Côte-d'Ivoire d'aujourd'hui. Inversement, l'état d'esprit qui domine aujourd'hui existait déjà à un certain degré avant 1950,
La période héroïque du P.D.C.I. ne recouvre que cinq courtes années sur les quarante ans d'existence de ce parti. Cinq années qui ont incontestablement marqué la Côte-d'Ivoire ; mais ce n'est pas à elles que la vie politique actuelle doit principalement ni, surtout, directement, sa physionomie.
Aujourd'hui, les motivations des responsables et, par conséquent, leur attitude vis-à-vis des masses, sont à l'opposé de ce qu'elles étaient avant 1950.
Le meilleur expert en la matière est F. Houphouët lui-même : « Notre parti, né le 9 avril 1946, héritier du Syndicat agricole africain créé le 10 juillet 1944, ( ... ) avait pour vocation d'exprimer et de défendre nos légitimes aspirations et de rassembler tout le peuple ivoirien, sans distinction de couches sociales, de races ni de religions. Pendant toute la durée de la lutte pour l'indépendance, il est demeuré fidèle à cet idéal. Toutes les volontés étaient tendues vers un objectif précis, qui était de recouvrer notre liberté confisquée et notre dignité bafouée.
« La population était mobilisée comme un seul homme au sein du parti et autour de ses responsables ( ... ) J'ai le regret de devoir dire qu'une fois l'indépendance acquise, nous n'avons pas retrouvé le même dynamisme, la même cohésion, la même mobilisation des esprits et des cœurs. A mesure que se développait le progrès économique et social, s'affadissait l'ardeur combative des militants et militantes et surtout des cadres. Le pur courant de l'idéal se perdait dans le marécage des intérêts personnels et des ambitions égoïstes. Le peuple ne se sentait plus concerné par l'action des dirigeants, ne participait pas réellement à leur choix ; il avait l'impression d'être livré à lui-même, peut-être méprisé par ceux-là mêmes qui ne rendaient pas compte de leur mandat... »[2].
On ne peut pas mieux faire ressortir ce qui fait la différence entre les deux époques du P.D.C.I. !
A la fin des années 1940, au plus fort de l'épreuve de force déclenchée par le gouverneur Péchoux, le P.D.C.I. est le seul parti politique dans lequel la presque totalité des Ivoiriens se reconnaissaient. Dans sa chronique de ce temps, Bernard Dadié signale à plusieurs reprises les visites de soutien que les enfants d'adversaires notoires du mouvement anticolonialiste faisaient aux prisonniers de Bassam. Cet exemple est pour montrer que, sans être des militants ou, formellement, des adhérents, beaucoup d'Ivoiriens s'identifiaient alors dans le P.D.C.I. dès lors qu'ils n'avaient pas de raisons particulières de pactiser avec son principal ennemi, l'administration coloniale française.
Le P.D.C.I. n'était pas alors un parti unique. Même réduits à de maigres comités d'aboyeurs dispersés sur la route des caravanes, il y avait d'autres formations politiques déclarées, regroupant soit des Africains, soit des Français. Ces partis anti-R.D.A. bénéficiaient de l'appui du gouverneur. Pourtant, c'est le P.D.C.I. seul qui contenait toute la force politique efficace disponible en Côte-d'Ivoire !
Aux deux périodes de l'histoire du P.D.C.I. correspondent deux orientations politiques et économiques et, par voie de conséquence, deux projets de société.
Une phrase prononcée par Jacob Williams, l'un des prisonniers de Bassam, définit assez bien l'orientation générale d'avant 1950 : « Nous luttons, nous lutterons contre toute politique d'expansion coloniale des trusts étrangers en Afrique noire française, parce que nous n'avons pas le droit d'aliéner l'avenir politique et économique de notre pays »[3]. Ce n'est pas là, précisément, le principe qui a prévalu au moment des choix politiques et économiques caractéristiques de la Côte-d'Ivoire d'aujourd'hui !
Les déclarations faites en 1950 devant la cour d'assises de Bassam par les dirigeants R.D.A. emprisonnés n'étaient pas des résolutions élaborées par les instances statutaires officielles du P.D.C.I. A considérer la diversité de ces textes et ce qu'ils doivent de toute évidence tant à la personnalité qu'à la qualité de la formation politique de chacun d'eux, il s'agit incontestablement de l'exposé de leurs vues personnelles. Mais, il s'agit de très hauts dirigeants du P.D.C.I., qui avaient dans ce parti une influence de plus en plus grande depuis 1948 en particulier. La plupart deviendront des hommes d'Etat de premier plan ; J. Williams, par exemple, sera le ministre de l'Economie du premier Conseil de gouvernement de la Côte-d'Ivoire.
Le P.D.C.I. était en outre en pleine recherche d'une doctrine. Il ne faut pas oublier qu'il se trouvait alors à seulement quatre années du jour de sa fondation. Quatre années pendant lesquelles la poignée de militants d'avant-garde avaient eu tant à faire dans tous les domaines, et alors que le plus urgent était d'organiser et d'informer la masse des adhérents qui ne cessait de croître.
Il était normal, dans ces conditions, qu'il n'existât pas alors une doctrine officielle univoque, une orthodoxie. On n'en constate pas moins une profonde unité de vue entre les différents orateurs et, sans aucun doute, tous les autres étaient d'accord avec J. Williams sur ce point. Quant à la masse des adhérents et la quasi totalité des Ivoiriens, on ne peut pas douter que les paroles de l'inculpé de Bassam, qui disait d'ailleurs, parler en leur nom, leur sont allées droit au cœur[4].
Avant 1950, les objectifs que visaient la majorité des Ivoiriens ne pouvaient être atteints que par la lutte positive et des actions de masse. C'est cette conviction que B. Dadié exprime en disant : « Nous, au Rassemblement démocratique africain, nous luttons parce que nous savons que les alouettes ne tombent pas toutes seules du ciel »[5].
Pratiquement, le retournement de 1950 revint à biffer, dans un premier temps, le verbe « Lutter » et à le remplacer par le verbe « Capituler » ; et, dans un deuxième temps, à entretenir, avec le thème du « miracle économique », l'illusion que les alouettes tombent du ciel toutes rôties. Dès lors, l'existence d'un parti vraiment capable de mobiliser les initiatives des masses n'était plus jugée nécessaire. Mais, surtout, l'immolation du mouvement anticolonialiste était réclamée par les nouveaux amis du député de la Côte-d'Ivoire.
F. Houphouët ne pouvait pas répudier l'auréole de cette école d'héroïsme désintéressé sans aggraver la suspicion dont il était déjà l'objet de la part de ceux qui étaient avertis de ce qui se tramait. En outre, abandonner ce symbole, c'était laisser aux éléments radicaux qui traînaient la jambe, la possibilité trop belle de relancer quelque jour le mouvement dans sa forme originelle. Les possibilités d'une telle relance existaient bel et bien. En tout cas, les autorités coloniales en étaient persuadées[6] et elles avaient fait savoir qu'elles ne voulaient pas en courir le risque. Ainsi, la fidélité dont F. Houphouët se réclame était à la fois une obligation et une apparence.
L'usage ainsi fait de l'auréole du mouvement anticolonialiste des années 1940 pour couvrir une démarche à rebours de ce courant a été le plus sûr moyen d'en finir avec lui. La fidélité purement verbale à l'idéal du P.D.C.I. n'a été et n'est encore qu'un moyen d'empêcher l'éclosion d'un autre parti qui serait plus justement fondé à s'en réclamer, parce qu'il reprendrait les mêmes objectifs et les mêmes méthodes.
Il était évidemment impossible de maintenir le P.D.C.I. de 1946 tel qu'il est dépeint avec une feinte nostalgie en 1980, en changeant si profondément son principe. Qui plus est, dans les années qui suivirent le « repli tactique », on ne constate pas d'actes concrets qui traduisent chez les dirigeants de ce parti la volonté de cultiver, en les pratiquant les premiers, les vertus qu'ils réclamaient des militants et des cadres subalternes. Bien au contraire, et sans même compter les effets délétères des graves crises internes des premières années 1960, qui n'ont pas dépendu d'une volonté ivoirienne conduite en toute conscience, le recrutement des hauts personnels du parti au pouvoir ne pouvait que le dégrader davantage.
Si le nom de P.D.C.I. a été conservé religieusement après 1950, on ne s'est pas soucié, dix pleines années durant, de convoquer un seul congrès de ce parti, ne fût-ce que pour y donner, publiquement et solennellement, acte aux nombreuses victimes directes et indirectes de la terreur coloniale, du triomphe de leur idéal ! En laissant ainsi se prolonger jusqu'en 1959 la paralysie provoquée par les mesures d'exception instaurées en 1950, on ne faisait, en somme, qu'exécuter le plan anti-R.D.A. à long terme du gouvernement français[7].
Pour bien juger des paroles de F. Houphouët qu'on a citées plus haut, il faut se souvenir que le VIIe Congrès s'est tenu dans le sillage de la « démocratisation », ce coup de poker qui avait libéré des processus dangereux auxquels il ne s'attendait pas et qui rendaient nécessaire et urgente la reprise en main d'un parti qui s'en allait de toutes parts et menaçait de lui échapper. Il s'agit donc de paroles de circonstance. Mais, au-delà du jeu politicien dérisoire, c'est la description fidèle de ce qu'on pourrait appeler le « qui pro quo » ivoirien.
Tout ce que F. Houphouët a dit ce jour-là est rigoureusement vrai. Mais d'une part, c'est incomplet et, d'autre part, aucun des auditeurs ne pouvait ignorer que le président du parti voulait faire porter à d'autres, principalement à Philippe Yacé, un chapeau qui n'appartenait qu'à lui-même.
C'est incomplet, car le principal dirigeant du P.D.C.I. depuis sa fondation passa sous silence les divergences graves qui surgirent en son sein dès 1947[8] et surtout en 1949-1950, pour ne rien dire de la crise de 1963-1965 qui appartient à l'histoire du P.D.C.I. d'après le « repli tactique ».
Ces divergences, d'ailleurs normales (on en voit dans la vie de tout mouvement politique), ne concernaient pas seulement les méthodes de lutte mais aussi les objectifs à court et à long termes. Il est notoire, par exemple, que le principe du « repli tactique » ne fut pas approuvé par la plupart des « compagnons ». Les uns ne s'y sont pliés que contraints par la menace d'être réduits à la misère, comme d'autres militants irréductibles du R.D.A. le furent ailleurs[9]. Les autres pour des raisons diverses, mais qui, en tout cas, n'eurent rien à voir avec la conception qu'ils avaient eux-mêmes de l'idéal politique du R.D.A.
F. Houphouët a imposé, avec l'appui ouvert des autorités coloniales et du gouvernement français, une politique qui impliquait non seulement l'abandon des actions de masse, mais aussi l'abandon du simple militantisme responsable des adhérents du parti. Par la suite, leur rôle s'amenuisera toujours plus dans la vie du parti et dans la vie politique, au fur et à mesure de l'intégration dans la direction du parti, à tous les niveaux, de la plupart des anciens adversaires du mouvement anticolonialiste. C'est ainsi que dans la dernière période, des fondateurs du Parti progressiste ont pu devenir des membres haut-placés du P.D.C.I. sans avoir eu à faire la preuve de leur ralliement sincère aux idéaux que ce sigle recouvre.
Une autre conséquence du « repli tactique », c'est l'importance que la corruption a prise dans la vie politique dès les années 1950. Jusqu'alors, c'était le fait des seuls suppôts du colonialisme. Quant aux militants du P.D.C.I., ils se caractérisaient aussi par leur moralité exemplaire.
B. Dadié rapporte cette anecdote qui devrait trouver sa place, la plus haute, dans un « De Viris… » ivoirien si quelqu'un pensait à l'écrire : « Un gouverneur (...) a essayé de détacher de nous, une de nos camarades femmes, secrétaire générale, en lui promettant une voiture toute neuve, trente mille francs de rente mensuels et des avantages divers. Elle lui répondit simplement : "Ce n'est pas le moment où les femmes de France et du monde entier luttent pour la liberté et la paix que nous, femmes africaines, allons croiser les bras... Depuis vingt ans je marche à pied, je n'ai que faire de votre voiture. Je vis bien sans votre rente. Nous continuerons la bataille à côté de nos frères, de nos pères et de nos maris qu'on arrête et tue". »[10]
A présent, ce sont les hautes sphères mêmes du P.D.C.I. qui sont gangrenées. On ne peut même pas être assuré qu'il n'y a pas une volonté politique à la racine de ce mal. Dès 1956, en effet, la politique était devenu le plus rapide moyen d'enrichissement en Côte-d'Ivoire à condition de se situer dans l'obédience de F. Houphouët. En même temps, l'opposition déclarée à cette ligne politique était aussi devenue le plus sûr moyen de tomber dans la misère ou de s'y enfoncer.
En octobre 1951, lorsqu'il appelait les masses R.D.A. à se rallier à sa politique de collaboration avec le colonat et l'administration coloniale, alors que les vrais patriotes avaient les mains liées, le président du R.D.A. ne faisait ni plus ni moins que supprimer ce qui constituait la force de ce mouvement, c'est-à-dire sa capacité de mobiliser les initiatives des masses en vue de la reconquête de leurs droits que ses nouveaux amis persistaient à leur nier.
Telles sont les actions qui ont entraîné, avec la perte du « pur courant de l'idéal », « l'affadissement de l'ardeur combative des militants et des militantes et surtout des cadres ».
Quant au deuxième point, il est évidemment impossible qu'il y ait eu, sous le secrétariat général de Ph. Yacé, une déviation dont le président du parti ne pût connaître l'existence qu'en en constatant les effets à l'occasion des renouvellements et des innovations électoraux de 1979. Si c'était le cas, les congressistes auraient d'ailleurs pu s'interroger sur sa capacité à servir les multiples fonctions qu'il s'est attribuées ! A quoi sert-il, en effet, d'être si puissant si on peut rester près de vingt ans sans s'apercevoir que vos agents et hommes de confiance vous trahissent ?
En réalité, et encore mieux depuis les curieuses confidences qu'il a faites en avril 1983[11] à l'occasion de la grève des enseignants, on sait bien comment, grâce aux fonds secrets dont Alain Belkiri est le généreux dispensateur[12], grâce aux écoutes téléphoniques, au viol des correspondances, aux filatures policières et aux rapports d'une nuée de sycophantes, le chef de l'Etat contrôle la scène politique et les acteurs qui s'y produisent.
Les congressistes ne pouvaient donc pas douter qu'il a toujours très bien su ce que les fonctionnaires du parti unique faisaient, ni qu'il n'a jugé bon d'y aller de ses critiques générales et vagues, autant dire sans portée politique, qu'à partir du moment où leurs agissements ne servaient plus sa politique de poudre aux yeux, parce qu'ils avaient fini par exaspérer l'opinion publique à un moment où, en outre, l'échec du modèle économique devenait patent.
La nostalgie du « pur courant de l'idéal » et la dénonciation du « marécage des intérêts personnels et des ambitions égoïstes » et, d'une façon générale, ce qui est dit dans la première partie de cette citation qui oppose et compare les pratiques des deux partis homonymes et l'attitude des simples gens à leur égard sous-entend que le P.D.C.I. fondé le 9 avril 1946 possédait les ressources nécessaires pour mobiliser les initiatives responsables des Ivoiriens et que le parti unique actuellement au pouvoir n'en a pas !
Certes, il est vrai que dans les années 1940, les Ivoiriens participaient effectivement au choix des dirigeants et qu'ils se sentaient concernés par leurs actions, comme on le vit si bien à l'occasion des manifestations spontanées de soutien aux grévistes de la faim. Leur adhésion au mouvement anticolonialiste était, selon le mot de B. Dadié, « une association librement consentie ». Il est vrai aussi que le peuple n'était pas méprisé. Témoin la belle formule de J.-B. Mockey : « Pour moi, la force d'un pays réside avant tout dans la conviction qu'ont ses enfants à défendre les droits et libertés chèrement acquis et qui leur appartiennent tous et non point dans celle qu'ils peuvent avoir à se faire les complices du maintien de privilèges de classe. Bien plus, je suis convaincu que sans le peuple, l'élite d'un pays ne saurait avoir de justification à sa propre existence. »[13]
La censure tardive des signes de déliquescence de la morale politique dans la Côte-d'Ivoire d'aujourd'hui constitue l'aveu involontaire qu'en tout état de cause, le parti unique au pouvoir ne possède ni sa propre doctrine, ni ses propres objectifs et méthodes d'action, et qu'en cela il est essentiellement différent du P.D.C.I. des années 1940. Il y a donc le souci d'entretenir l'illusion d'une identité bien improbable et, en même temps, l'aveu implicite qu'en réalité le P.D.C.I. n'existe peut-être plus.
Au moment de ce constat, le pays se trouve de nouveau à un tournant de son histoire. On parle de l'après-Houphouët. Le chef de l'Etat sera tantôt parvenu à un âge où il est normal de mourir ou d'aller à la retraite. Mais, quelle que soit la profondeur du vide qu'il laissera après lui et quoi qu'il advienne de la Côte-d'Ivoire, l'« après-Houphouët » ne sera que la période plus ou moins étendue durant laquelle les nouvelles autorités constitueront les caractères originaux d'un nouveau régime.
Si le règne de F. Houphouët fut utile à beaucoup, surtout en dehors de la Côte-d'Ivoire, il fut probablement trop long pour pouvoir se survivre sur le même train sans beaucoup d'inconvénients sérieux. Les « compagnons » sont vieux, ou bien ils ont pâli et, parfois, se sont corrompus à attendre si longtemps à l'ombre du plus élevé d'entre eux. De sorte qu'il est bien improbable que le personnel politique issu de l'histoire de la période héroïque du P.D.C.I. puisse fournir le remplacement idéal, c'est-à-dire un homme possédant assez de sang-froid pour conduire une politique tout en cultivant chez le peuple le rêve d'une autre.
La conscience de cette difficulté a dû certainement guider la réorganisation du parti unique, opérée en 1980 dans la foulée de la « démocratisation ». Le VIIe Congrès a vu, en effet, la cooptation au sommet du parti d'un certain nombre d'hommes jeunes qui illustrèrent, au sein de l'histoire mouvementée du M.E.O.C.A.M. et du M.E.E.C.I.[14], des idées et des méthodes tout à l'opposé de la tradition du P.D.C.I. des années 1940. Avec eux et pour la première fois, ce n'est plus l'idéal anticolonialiste auquel F. Houphouët lui-même était obligé de se référer, mais un nationalisme étroit, élitaire, tel que les pétainistes invétérés qui combattaient le R.D.A. le trouveraient tout à fait à leur goût, qui fait son entrée à la direction du P.D.C.I. ! Cette orientation existe aussi au sein des instances locales de ce parti où elle s'exprime avec beaucoup plus de naïveté. Le secrétaire à la Presse de la section du P.D.C.I.-R.D.A. d'Agnibilékrou écrit dans une tribune, libre il est vrai, de l'hebdomadaire de ce parti : « La direction du parti doit recenser ces sections et les réorganiser en comités de quartier. Cette réorganisation devra s'appuyer uniquement sur les nationaux afin de pouvoir constater réellement l'amour des Ivoiriens pour le parti, pour leur pays, car le poids des étrangers fausse la vie du parti dans nos régions... »[15]
La promotion de ceux qui professent une telle idéologie signifie-t-elle qu'on a définitivement renoncé aux vertus du P.D.C.I. que le président évoquait avec tristesse feinte dans son adresse aux congressistes ? En 1946, le P.D.C.I. était aussi internationaliste ; il comptait de nombreux étrangers parmi ses membres éminents et même parmi ses fondateurs !
Quoi qu'il en soit, on peut s'inquiéter de constater à quel point l'idéal dont F. Houphouët regrette la perte a peu à voir avec l'idéal de ses jeunes compagnons qui, en outre, semblent encore à la recherche d'une définition de l’houphouétisme qui les satisfasse, près de cinq ans après le VIIe Congrès ![16] Les fameux appels aux jeunes ne seraient-ils que des appels à ceux qui n'ont pas de mémoire ?
Les nouveaux jeunes turcs du parti unique obligatoire sont-ils l'avenir qu'on prépare pour la Côte-d'Ivoire ? Ce n'est qu'une hypothèse. Ce qui est sûr, c'est qu'ils sont bel et bien le présent de ce parti. Avec de tels idéologues à sa direction, qui semblent, en outre, avoir été éduqués en vue de ce rôle, le P.D.C.I. est désormais tout à fait dégagé de ses traditions populaires et démocratiques.
II est d'ailleurs incorrect de dire qu'ils sont à la recherche d'une définition de l’houphouétisme.
L’houphouétisme, chacun sait ce que c'est. C'est la politique que seul F. Houphouët a pu conduire en Côte-d'Ivoire sans soulever en même temps l'ensemble du peuple contre elle. De ce fait, on ne peut pas imaginer l’houphouétisme sans celui qui lui donne son nom. Après lui, personne n'aura besoin de l’houphouétisme parmi les Ivoiriens, surtout pas ces bons élèves des missions récemment appelés à la direction du parti et qui paraissent tout à fait convaincus que la direction des hommes est une simple technique qu'il suffit d'appliquer.
Ces jeunes gens sont venus tout armés dans ce bastion du pouvoir. C'est pourquoi, presque dans le même temps où F. Houphouët regrette qu'on ne sache plus mobiliser les initiatives des masses, Alphonse Djédjé Mady, lui, parle de les mener : « Je sais, par expérience, ce que c'est que diriger les hommes ; et je sais que, toujours, ce n'est pas facile »[17]. Voilà une belle preuve que le parti fondé en 1946 et le parti dont ce meneur d'hommes est l'un des hauts dirigeants ne sont décidément pas le même parti !
Mais il ne faut pas s'attacher trop au sens des mots. N'est-ce pas le mobilisateur qui a appelé le meneur auprès de lui pour diriger le P.D.C.I. et tout spécialement sa fraction la plus jeune, celle qui est la plus éloignée des sources du « pur courant de l'idéal » ? Et n'est-ce pas lui aussi qui, bien avant que ce pur produit d'une mission probablement mal épurée en 1944 et mal décolonisée après 1960 ne se fasse connaître comme casseur du mouvement étudiant, avait décrété l'appartenance obligatoire de tous les Ivoiriens au parti unique ?
Comme on forme le troupeau, on le mène ; et le bouvier ne s'inquiète pas de la volonté des bœufs !
Le P.D.C.I. est, aujourd'hui, non seulement le seul parti légal en Côte-d'Ivoire, mais encore c'est un parti auquel tous les Ivoiriens et même les résidents africains doivent obligatoirement cotiser. La carte d'adhérent est devenue une sorte de passeport intérieur. Ce procédé n'en a pas fait un parti populaire dans lequel les masses se reconnaissent, au contraire ! Les simples gens « achètent » leur carte « sous l'effet de la contrainte pour pouvoir voyager en paix, pour ne pas être inquiétés par la police, ou pour faire comme tout le monde »[18]. Seuls « les vieux, ceux qui ont connu les travaux forcés[19] et les vicissitudes de la colonisation voient toujours le parti comme l'organe de la libération du pays, de la suppression de l'impôt et des travaux forcés et ont déclaré être membres du parti par conviction personnelle »[20]. Ils n'en sont pas moins, eux aussi, tenus à distance respectueuse par les égoïstes, les contempteurs et les meneurs d'hommes qui gravitent autour de F. Houphouët.
Ainsi s'explique que, en dépit de la puissance théorique que lui confèrent les moyens de l'Etat mis à son service, le parti unique au pouvoir ne peut fonctionner que comme une fiction cérémonielle ou comme une Eglise concordataire qui demande à ses membres non pas tant de croire que d'être soumis.


Marcel AMONDJI
(Article paru dans Peuples Noirs Peuples Africains no. 41-42 / 1984)


NOTES
[1] Ce sigle apparaîtra dans la suite souvent dissocié. On dira tantôt P.D.C.I., tantôt R.D.A. pour désigner la même chose. « P.D.C.I. » sera généralement employé quand il ne s'agira que de l'organisation formelle tandis que « R.D.A. » en désignera plus précisément l'esprit, l'idéal. En 1949-1950, les masses ivoiriennes qui allaient « à l'assaut du ciel » se disaient R.D.A. mais l'organisation à laquelle elles adhéraient était P.D.C.I., la section ivoirienne du Rassemblement démocratique africain (R.D.A.).
[2] Félix Houphouët-Boigny au VIIe Congrès du P.D.C.I, 1980.
[3] Jacob Williams, Déclaration au tribunal, mars 1950.
[4] « ... Nous sommes les porte-parole conscients des populations africaines dont les impérialistes ont gravement sous-estimé la volonté de lutte, la volonté d'en finir avec le colonialisme... », J. Williams, loc. cit.
[5] Bernard Dadié, Déclaration au tribunal, mars 1950.
[6] Voir à ce sujet : François Mitterrand, Présence française et abandon, Seuil, 1957.
[7] Cf. F. Mitterrand, op. cit.
[8] Trahison de la grève des cheminots.
[9] Tel fut le sort, par exemple, de Madeira Kéita, l'un des fondateurs du R.D.A. en Guinée française. Voir à ce propos : P.-H. Siriex, Houphouët-Boigny, l'homme de la paix, Seghers-N.E.A., 1975.
[10] B. Dadié, loc. cit.
[11] Fraternité-Matin, 29-4-1984.
[12] C'est du moins ce qu'on peut déduire de cette phrase de F. Houphouët, « ... le quatrième, qui distribue le plus, et qui n'étant pas du pays ne fait pas de distinction, est mon Secrétaire général du gouvernement ».
[13] J.-B. Mockey, Déclaration au tribunal mars 1950. (Souligné par nous, M.A.)
[14] M.E.O.C.A.M. : Mouvement des étudiants de l'Organisation commune africaine, M.E.E.C.I. : Mouvement des étudiants et élèves de Côte-d'Ivoire
[15] Fraternité-Hebdo, no 1280 du 10-11-1983.
[16] Voir note suivante.
[17] A. Djédjé Mady, interview à Fraternité-Hebdo, 18-12-1983.
[18] Besoins culturels des Ivoiriens en milieu urbain, Université d'Abidjan, Institut d'ethno-sociologie, 1975.
[19] L’expression « travaux forcés » ici est impropre : il faudrait plutôt parler de « travail forcé » ou de « travail obligatoire ».
[20] Besoins culturels..., 1975.

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29 mai 2012 2 29 /05 /mai /2012 12:53

En Algérie déjà, l'armée et la droite française ont expérimenté le fait que la victoire sanglante sur la résistance nationale n'empêche pas la défaite médiatique, puis politique – et le retrait sans gloire. L'intervention militaire française s'inscrit en effet, quoiqu'on dise, dans une histoire coloniale : 47 interventions armées depuis 1960 ! L'étonnant est plutôt que le renversement des régimes hostiles à la Françafrique se fasse sous couvert des « droits de l’homme » et de la démocratie, que les Nations Unies cautionnent le coup d'Etat et que son armée massacre des civils et bombardent, en avril 2011, les centres d'un pouvoir légitimé par son Conseil Constitutionnel.

Henri Emmanuelli disait, lors de répétition générale de 2004 – le général Henri Poncet, n'a-t-il pas, alors, manqué son coup d'Etat ? – que « l’histoire jugera qui s'est rangé du côté des massacreurs » ou de l'autre ! A mon sens, l'histoire a déjà jugé, et pour 2004, et pour 2011 !

Mais cette réflexion, nécessaire, notamment dans la perspective de l'alternative créée, à Paris mais aussi à Abidjan, par l'arrivée possible de la gauche française au pouvoir, reste par trop franco-française. Car même en avril dernier, la presse française, majoritairement engagée du côté de la désinformation – et majoritairement acquise d’avance au coup d'Etat sarko-ouattariste, s'était aperçue que la perception du Tiers monde – et même du monde anglo-saxon, était radicalement différente.

Transmission mythique et panafricanisme

A une série noire de l’humiliation et de la destruction des régimes résistants, une transmission souterraine oppose, en effet, dans l'opinion panafricaine, la saga et le mythe de grandes figures, qui à travers l 'Histoire globale de la domination, incarnent les possibles d'un autre monde à venir. Une par génération ? Si je n’ai pas connu le calvaire de Lumumba, j’ai pu rencontrer – trop brièvement – Thomas Sankara, trois mois avant son assassinat. Comment ne pas voir que l'arrestation, la déportation, le procès du Président Laurent Gbagbo à la Haye est en train de se constituer en martyrologue et de le faire succéder symboliquement au dernier grand héros transnational, Nelson Mandela ?

De même faut-il conceptualiser encore les formes de ce « pouvoir blanc » (quelle que soit la couleur de celui qui l'exerce... et Franz Fanon reste ici – sur les « peaux noires et masques blancs » – à lire et à relire !) à la fois médiatique et humanitaire, judiciaire et armé qui a un moment donné se coalise contre « l’homme à abattre ». Si la « guerre idéologique » est selon Gramsci, le préalable à la victoire politique, c'est donc cette construction, après la résistance à la doxa, au consensus de médias aux ordres, que l'on peut proposer. N’est-ce pas, à l'heure où nous écrivons, ce qui résulte déjà de la reconnaissance du Fpi par l'Anc, Laurent Akoun représentant la nouvelle icône de la résistance anticoloniale, et dans le pays de Mandela, le combat des démocrates ivoiriens devant ses pairs de tout le continent ?


Un certain mimétisme avec les formes de mobilisation pour Mandela a déjà commencé : marches, pétitions, iconographie... L'éloignement avec toute collaboration avec la xénophobie de l’extrême droite, avec la démission mollétiste de la « gauche de gouvernement », et avec l'esprit de ressentiment primaire permettront seuls les alliances transnationales voire transcontinentales qui renouent avec la tradition anticoloniale de la gauche africaine et française.

La dimension panafricaine semble, en effet, fondamentale : si le combat judiciaire a besoin de spécialistes des arènes judiciaires, une défense de rupture, plus politique, est peut-être plus porteuse à terme ; fragile et contestée, la Cpi est d’autant plus sensible à la bataille de l'opinion qu'elle est justement accusée de participer à cette séculaire « guerre à l' Afrique » et à elle seule. Libérer Laurent Gbagbo serait pour elle, une occasion inespérée de se refaire une virginité tiers-mondiste, dont elle a bien besoin ! A ce stade du combat politico-médiatique, panafricanisme et conversion de la communauté afro-américaine sont des axes encore peu explorés. Pendant ce temps, la discussion continue, à Paris, avec la gauche modérée (principalement le Ps) pour rompre avec le consensus de politique étrangère où l’a piégé le sarkozysme botté et casqué.

De la déshumanisation violente à la rédemption politique

La lutte dans le champ médiatique a commencé, au fond, depuis 2000. Journaux, blogs, quelques ouvrages commencent à peine à rompre le consensus officiel ; médias et humanitaires sont en fait divisés, et nombre de journaux parisiens d'influence sont tenus par de pseudo-« spécialistes » qui se sont déshonorés en avril dernier, écrivant dans la duplicité vénale et la mauvaise foi : que l'on pense aux articles ouattaristes de Libération ou de l'Express, diffamatoires par ailleurs, envers les intellectuels ou journalistes critiques !

On assiste par contre, depuis la déportation de Laurent Gbagbo à la Haye, à une étonnante inversion iconique. Selon le politologue Bertrand Badie, l’humiliation et la diabolisation des adversaires de l'Empire sont les conditions nécessaires à la violence armée et à leur chute. Au texte et à l'information réfléchie s'oppose l'image traumatisante, volontairement diffusée en boucle.

Le 11 avril, Forces spéciales françaises et caméras de combat sont intimement liées, révélant la spectacularisation des relations internationales au grand jour ; au-delà déportation et exil intérieur des résistants, manipulations des opinions publiques fonctionnent bien avec le montage des « rébellions » et la subversion des institutions internationales: les parallèles historiques de l'ère coloniale et des « coups tordus » de la Françafrique permettent d'y repérer la marque des « services » d'agit-prop – comme ils disent – et même de distinguer les processus et lieux de prise de décision.

Mais ce processus de déshumanisation peut s'inverser, et une image chasse l'autre ; la présence récente de Laurent Gbagbo au tribunal de la Haye juge les faiseurs, les psychopathes occidentaux, les truqueurs des médias, bien plus que lui-même. Les images honteuses du Golf hôtel (l’hôtel Rwanda ou « hôtel des massacres » est bien le lieu fondateur, symbolique du sarko-ouattarisme) s'effacent devant le calme discours de celui qui est au moins pour la moitié du pays, le président légitime du pays – et pour nombre de démocrates internationaux, une victime politique – en attendant le procès, qui sera certainement pour lui, une formidable tribune internationale. Dans une dialectique très hégélienne, en demandant la libération immédiate du prisonnier politique le plus célèbre de la planète, Laurent Gbagbo, c'est notre rapport à la construction impériale et à l'arbitraire colonial que nous remettons en question. Pour eux comme pour nous, c'est du même coup de notre libération, comme Sujets non aliénés, dont il s'agit aussi.


Michel Galy, politologue français
(Source : Notre Voie 17 janvier 2012)


en maraude dans le Web

Sous cette rubrique, nous vous proposons des documents de provenance diverses et qui ne seront pas nécessairement à l’unisson avec notre ligne éditoriale, pourvu qu’ils soient en rapport avec l’actualité ou l’histoire de la Côte d’Ivoire et des Ivoiriens, et aussi que par leur contenu informatif ils soient de nature à faciliter la compréhension des causes, des mécanismes et des enjeux de la « crise ivoirienne ».

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28 mai 2012 1 28 /05 /mai /2012 00:11

 En marge de l’hommage national rendu à Ahmadou Kourouma par « les intellectuels ivoiriens » lors des « Rencontres littéraires et universitaires » des 24 et 25 mai 2012, voici, à l’intention de nos lecteurs, les impressions et les sentiments que m’inspira, voici 22 ans, ma première lecture de son chef-d’œuvre, « Monné, outrages et défis », tels qu’à l’époque je les confiai à « Téré », l’éphémère organe du Pit, sous le pseudonyme d’Oscar Danon.


Le cercle victor biaka boda

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Un écrivain heureux, c’est Ahmadou Kourouma, l’auteur étonnant des Soleils des indépendances ou, si vous le préférez ainsi, l’auteur des étonnants Soleils des indépendances… Depuis vingt ans, il se taisait. Ses admirateurs et, pourquoi pas ?, ceux aussi qui lui en voulaient d’avoir écrit ce livre, attendaient, haletants, chaque année nouvelle, qu’il en commette un autre aussi décapant, voire outrageant pour toutes les gloires usurpées d’ici et d’ailleurs. On était tout près de croire cette immense source inexplicablement tarie. Et voici qu’il nous jette Monnè, outrages et défis(2) un peu à la manière de cet avocat impertinent qui se fit remarquer, naguère, au beau milieu d’un conseil national d’un certain parti unique, par ses arguties sacrilèges !(3)


Mais le plus extraordinaire peut-être, c’est de le retrouver, lui, sans tout à fait retrouver son premier livre. C’est-à-dire que pour ce qui est du style ou du genre, Monnè, outrages et défis est un complet renouvellement ; mais un renouvellement par lequel Kourouma s’affirme derechef avec une extraordinaire fidélité à lui-même et à ses lecteurs. Tous ses lecteurs. En effet, avec ce deuxième livre, il n’aura pas déçu ceux qui avaient été enthousiasmés par les hardiesses rabelaisiennes de son écriture sans être véritablement capables d’en goûter la substantifique moelle. En même temps, il nous comble, nous autres lecteurs ivoiriens qui avons par force une très ancienne complicité naturelle (ou nationale) avec ce malicieux djoliba à l’envers.


Disant substantifique moelle, je n’ai pas en vue le contenu du livre. Je ne suis pas un si déhonté chauvin pour croire que seuls les lecteurs ivoiriens sont capables d’appréhender le côté « critique sociale » (ou le réalisme édifiant) de cette œuvre résolument ancrée au quai de la quarantaine de notre destin national. J’avance seulement l’idée, peut-être impertinente, qu’il se pourrait que l’intention de Kourouma fût, dès le début, d’introduire la structure de nos littératures orales, en particulier celle produite par les griots, dans la littérature écrite ivoirienne – qui ne peut encore être que de langue française –, afin que les plus humbles lecteurs de chez nous puissent aborder ses livres sans cette terreur paralysante qu’inspirent toujours les livres réputés sérieux. Sérieux parce qu’ils sont en faux cols ! D’ailleurs, souvenez-vous, c’est tout au début des Soleils des indépendances :


« Il y avait une semaine qu’avait fini dans la capitale Koné Ibrahima, de race malinké, ou disons-le en malinké : il n’avait pas soutenu un petit rhume »…


 Appelé un jour à s’expliquer sur son style par l’un de nos confrères de la presse gouvernementale et prétendument du PDCI-RDA, Kourouma a exécuté en quelques mots un vieux malentendu : ce style ne résulterait pas d’un choix délibéré. Il aurait aimé écrire en « français littéraire », mais il ne s’en serait pas trouvé capable. Alors il aurait fait ce qu’il a pu…


On peut le croire ou non. A ce propos, qu’on me permette de rappeler une anecdote qui se rapporte à la célèbre orange de L’amour, la poésie, poème de Paul Eluard. Au cours d’un débat trop sérieux pour son goût, trop parisien, à quelqu’un qui n’en finissait pas de s’émerveiller de cette audace de l’auteur de Pouvoir tout dire, le poète Eugène Guillevic, qui l’a bien connu, répondit avec impatience en rappelant une confidence qu’Eluard lui avait faite à ce sujet : la célèbre image « La terre est bleue comme une orange », il l’avait trouvée en regardant une orange pourrie qui était là ! Comme quoi, il ne faut pas chercher trop loin au-delà des choses simples.


Aussi bien, dans Monnè, outrages et défis, c’est le contenu qui importe certainement le plus à nous autres, quoique le style non plus ne nous est pas indifférent. On ne lit pas un livre seulement pour l’histoire que conte l’auteur, mais aussi pour l’invention qu’il met à le faire. Néanmoins, il y aurait comme une absurdité à ne louer ce livre-ci que pour cette part de l’insigne mérite de son auteur. D’autant plus qu’il y a ce renouvellement dont j’ai déjà parlé. Pour réussir cela, certes, il en a fallu, du travail ! Travail d’abord sur l’instrument lui-même, la langue. C’est donc que Kourouma a recherché ce renouvellement, cet enrichissement de sa manière, alors qu’il aurait pu se contenter de rassasier notre longue attente avec une œuvrette quelconque, même de médiocre venue, en renouvelant simplement en nous, sans effort, l’émotion que nous avait procurée son premier roman.


La lecture de Monnè, outrages et défis est passionnante d’un bout à l’autre. Bien sûr, tout n’y est pas égal. C’est normal ; on peut en dire autant de tous les livres. J’avoue que je n’ai pas senti le personnage de Moussokoro, presque omniprésente depuis le chapitre dix où elle naît, mais qui, ensuite, n’arrive pas à être autre chose qu’un rôle très secondaire dans cette histoire d’hommes, tant l’auteur, qui en pince manifestement pour elle, se retient de l’abandonner complètement à ses autres personnages. Jalousie ? C’est, en tout cas, au crédit de Kourouma, le signe d’une extrême et délicate attention envers l’autre moitié de l’homme. Il n’empêche que cette retenue prive le roman d’un ressort important. Quelle paire c’eût été si, face à la démesure de Djigui, celle de Moussokoro, en qui l’auteur laisse pourtant deviner une diablesse de tous les enfers, avait pu s’exprimer toute entière ! Mais peut-être qu’alors c’eût été une autre histoire.


Ce que j’ai le plus aimé, c’est le chapitre treize, le plus court de cette vaste chronique, mais aussi le plus dense, qui commence par une longue phrase toute remplie de mystère et qui vous tient en haleine alors que, après déjà deux cents pages, vous vous croyiez préparé à tout ; et qui vous introduit doucement et insensiblement dans l’évocation d’un drame national, en l’occurrence une sécheresse catastrophique, mais qui pourrait aussi bien être une crise économique, une crise sociale ou une crise politique, ou tout cela à la fois…, les conséquences en étant d’ailleurs les mêmes, ainsi que ce que l’on croit devoir faire pour en échapper :


« Chacun avait consulté ses sorciers et devins ; les interprétations avaient été les mêmes : il y avait eu une grave transgression. Tous ensemble, nous nous tournâmes vers lui.

« Mon pouvoir n’est pas usurpateur, illégitime ou coupable ; ce que nous vivons n’est qu’une sécheresse que j’arrêterai avec les généreux sacrifices », répondit Béma, le nouveau chef du pays de Soba » (page 203).


Ce chapitre est le plus réussi, à mon goût du moins, eu égard à l’intention que j’ai supposée à l’auteur et qui me semble chaque fois plus plausible quand je relis ce passage. Cela me rappelle les épisodes des contes de mon enfance, qui me glaçaient d’avance d’une émotion étrange lorsque, par une certaine gravité de ton qu’affectait soudain le conteur, je devinais qu’il s’en approchait. Dans ce morceau, qui a d’ailleurs parfaitement sa place dans cette vaste fresque débordant de pétulance, Kourouma fait brillamment la démonstration qu’il serait aussi à l’aise dans la nouvelle, ce genre qui relève de l’orfèvrerie ou de l’horlogerie de précision, que dans les épanchements foisonnants à la Rabelais.


Je ne dévoilerai pas l’histoire que nous conte ce livre. Ce serait gâcher le plaisir que le lecteur prendra en la découvrant lui-même. Mais, après le passage que j’en ai cité, et pour éviter tout malentendu, je dois dire, pour finir, que si Monnè, outrages et défis est, au sens propre, un livre d’histoire – un roman historique si vous voulez –, ce n’est pas une œuvre de circonstance.


Le fameux Alexandre Dumas père, une nature semblable à notre Kourouma à quelques menus détails près, prétendait qu’il est permis de violer l’histoire à condition de lui faire un enfant. Ahmadou Kourouma ne viole pas vraiment l’histoire, et il lui fait des enfants qui ressemblent drôlement à notre réalité quotidienne.


Oscar Danon (alias Marcel Amondji

 

NOTES
1 - Article paru dans Téré N° 9, mars 1991.
2 - Editions du Seuil, Paris, 1990.
3 - Allusion à Me Camille Assi Adam enjoignant Houphouët-Boigny, lors du Conseil national de novembre 1982, de démissionner et de se représenter à l’élection présidentielle avec un candidat vice-président, comme cela se fait aux Etats-Unis d’Amérique.

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18 mai 2012 5 18 /05 /mai /2012 19:58

Aujourd’hui, la parole est à Laurent Dona Fologo



C’est en lisant, dans Le Nouveau Réveil du 12 mai 2012, l’interview de Laurent Fologo, que l’idée de cette note m’est venue. C’est plus fort que moi, chaque fois que j’entends Fologo, j’ai l’impression d’être dans un film de politique fiction. L’enfant de Sinématiali sait-il seulement à quel point il est à l’image de cette Côte d’Ivoire dont le regretté Diégou Bailly a dit un jour qu’elle était le royaume des faux-semblants. Cette Côte d’Ivoire de rêve que le monde entier célébrait naguère, tandis que nous-mêmes, ses fils et ses citoyens naturels, avions toutes les peines à nous y reconnaître.


Dans ce « nous-mêmes » j’englobe évidemment Fologo ainsi que tous ceux qui, comme lui, se réclament de ce qu’ils appellent la philosophie politique d’Houphouët, mais qui seraient bien embarrassés s’ils devaient énumérer les points où ils sont absolument d’accord avec elle. Dans cette interview par exemple, Fologo apparaît tout à fait comme un houphouétiste de façade. L’orthodoxie houphouétiste dont il se targue n’est qu’une posture. Cet opportuniste passé maître dans l’art de faire son miel de toute fleur, n’utilise le nom d’Houphouët que comme un moyen de s’attirer honneurs et considération. Tel une paonne faisant la roue pour attirer son paon…


Fologo est sans doute sincère quand il exprime sa gratitude envers celui qui l’a fait. Mais, dès qu’il veut se faire passer pour un bon élève d’Houphouët, voire le meilleur de ses élèves, on a toutes les raisons de douter de sa sincérité. J’ai éprouvé la même chose quand j’ai lu le livre de Camille Alliali, autre « Disciple d’Houphouët »… Fologo a-t-il approuvé tout ce qu’il a vu son maître faire, ou tout ce que son maître lui a fait faire ? Par exemple, cette mission en Afrique du Sud… Je me rappelle une déclaration sèche sur RFI où, lors d’un passage à Paris vers la fin des années 1970, celui qui aujourd’hui se dit tellement fier et heureux d’avoir été en quelque sorte un héros du combat pour l’abolition de l’apartheid reconnaissait que son expédition n’avait servi à rien, ce qui est la stricte vérité.


Le type de relation qu’Houphouët a maintenu entre la Côte d’Ivoire et son ancienne métropole durant tout son règne était-il compatible avec l’indépendance ? Fologo ne le pense pas aujourd’hui. Et hier non plus, sans aucun doute. Cela saute aux yeux quand on lit le passage où il justifie son ralliement à Gbagbo. Car, de deux choses l’une : ou l’indépendance, c’est-à-dire l’abolition complète du statut de colonie sanctionnée par un acte public, ou la dépendance maintenue et cultivée sous les dehors trompeurs d’une décolonisation de façade. Récemment le journaliste Didier Dépry, de Notre Voie, a révélé la confidence que, au lendemain du massacre de l’hôtel Ivoire qui l’avait révolté, un ancien chargé de mission à la présidence de la République du temps d’Houphouët lui a faite :


« Le véritable Président de la Côte d’Ivoire, de 1960 jusqu’à la mort d’Houphouët, se nommait Jacques Foccart. Houphouët n’était qu’un vice-président. C’est Foccart qui décidait de tout, en réalité, dans notre pays. Il pouvait dénommer un ministre ou refuser qu’un cadre ivoirien x ou y soit nommé ministre. C’était lui, le manitou en Côte d’Ivoire. Ses visites étaient régulières à Abidjan et bien souvent Georges Ouégnin (le directeur de protocole sous Houphouët) lui cédait son bureau pour recevoir les personnalités dont il voulait tirer les oreilles ».


S’il est vrai que Fologo était si proche d’Houphouët, cette réalité n’a pas pu lui échapper. Peut-être qu’à force de se répandre en vantardises sur sa longue familiarité avec son grand homme, il finira un jour par nous livrer quelque grave secret de la même sorte. En attendant, savourons ces quelques perles rhétoriques qu’il a semées ici ou là dans la dernière période, comme autant d’offrandes à ses idoles successives.



@@@@



« Il [Houphouët] disait : "Laissez venir les étrangers, c’est Dieu qui nous les envoie". L’Occident devrait lui élever une citadelle (sic) pour avoir vu 50 ans à l’avance ce que serait le monde du 3e millénaire. (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

 « Quand je vois les effets dévastateurs de la mondialisation sur nos pays, je pense au président Houphouët-Boigny et je me demande comment il aurait pu supporter pareille situation (…). Dieu a bien fait de rappeler le président Houphouët-Boigny à lui avant que n’arrive tout ce qui se passe aujourd’hui ou on vous dicte tout, on vous dirige de l’extérieur. Comment quelqu’un qui a combattu le colonialisme et libéré son pays aurait-il supporté cette autre colonisation qui ne dit pas son nom ? » (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

« Ce qui nous arrive aujourd’hui, Houphouët-Boigny l’avait prédit. » (Fraternité Matin 4-5/12/1999)

« Oui, aujourd’hui comme hier, contre vents et marées, je réaffirme et assume le sens de mon modeste combat et de ma détermination : je suis pour le meilleur et pour la République. Mon choix est clair. J’ai soutenu, je soutiens, je soutiendrai toujours tout Président que, par la volonté de Dieu, le peuple ivoirien se donnera, quelles que soient son ethnie, sa région, ses croyances. » (Le Nouveau Réveil 07/09/2007)

« Dieu veut qu’il soit le chef, Dieu a fait que c’est cet homme qui était opposé à Houphouët-Boigny, je n’en reviens même pas. C’est vrai, je me dis aujourd’hui avec le recul du temps que ces deux partis se ressemblaient trop. Sinon, je ne vois pas le seul acte posé aujourd’hui par le président Gbagbo qui soit tellement différent de ce que faisait le Président Houphouët-Boigny. Sauf peut-être cet amour excessif de ce qu’on appelle la Françafrique. N’oubliez pas que lorsque le Rda est né à Bamako en 1946, c’étaient des révolutionnaires qui voulaient se débarrasser du joug colonial, de l’oppresseur colonial, libérer l’homme noir. Houphouët-Boigny le disait lui-même ; pour lui redonner sa dignité bafouée, il le disait. C’est après que tout a changé. Mais, il a commencé dans la révolution. C’est la même chose que Gbagbo fait aujourd’hui. Gbagbo veut la souveraineté comme moi qui vous parle, je veux la souveraineté de la Côte d’Ivoire. Je veux qu’on nous respecte, voilà. » (Le Temps 14 août 2009)

« A chaque époque ses réalités et à chaque réalité son combat. A chaque époque ses hommes et ses femmes pour mener la lutte. Aujourd’hui, Laurent Gbagbo n’est plus le seul enfant du FPI. Il est désormais l’enfant de toute la Côte d’Ivoire. C’est pour cela que ceux qui m’ont déjà vu porter une autre casquette en d’autres temps, je leur demande de ne pas être surpris de me voir aujourd’hui au-devant du combat pour la démocratie, pour la liberté. C’est le Président Houphouët-Boigny qui disait, “Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas”. Et comme moi je pense que je ne suis pas imbécile, j’ai décidé de changer. » (Notre Voie 14/11/2009)

 (à suivre)

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15 mai 2012 2 15 /05 /mai /2012 17:29

 

CNRD%20(4)%20(Large)
Le président Bernard B. Dadié

 

 

  Abidjan le 14 mai 2012

 


Monsieur le Président de la République,

 

Le Congrès National de la Résistance pour la Démocratie de Côte d’Ivoire, CNRD, organisation de combat crée en mars 2006 avec le Président Laurent Gbagbo, se félicite de votre élection à la magistrature suprême de votre pays et vous présente ses vœux de plein succès dans l’accomplissement de la mission que le Peuple de France vous a confiée.


Le CNRD souhaite, Monsieur le Président, que conformément à votre promesse électorale, la devise de votre grand pays, « Liberté, Egalité, Fraternité », demeure pour tous une réalité.


Que cette devise, dont votre projet s’est saisi, aide effectivement au-delà même de la France, dans un rapport de justice impartiale, à instaurer l’équilibre nécessaire dans notre monde actuel entre les libertés individuelles et collectives, entre les intérêts des uns et les besoins de la majorité, entre les faibles et les puissants.


Monsieur le Président de la République,


Le CNRD, mouvement d’opposition constructive mais vigilante, est fait de femmes et d’hommes soucieux de permettre à la Côte d’Ivoire et à l’Afrique la maîtrise de leur destin et cela en agissant de concert avec les peuples du monde épris de justice, d’égalité et de fraternité ; de défendre partout et toujours, la dignité de l’homme noir et de l’homme tout court.


Le CNRD reste conscient que tous les autres peuples d’Afrique, sortis il y a peu de la nuit coloniale et qui souffrent encore des séquelles du système, s’en sortiront, certes par leurs propres efforts, mais aussi par une action concertée et collective : une mondialisation de la fraternité et de la responsabilité.


Le peuple ivoirien qui se reconnaît à travers notre mouvement et qui vient de subir une guerre injuste, inutile et particulièrement cruelle, déplore que les analyses que font des Occidentaux des situations effectivement vécues par les peuples africains, continuent d’être toujours travesties.


A l’instar des hommes qui ont écrit le rapport DAMAS, célèbre pour son objectivité sur les évènements douloureux des années 1949 et 1950 en Côte d’Ivoire, le CNRD souhaite Monsieur le président, que votre attention soit portée, sans a priori, sur les dérives barbares basées sur des mensonges scientifiquement échafaudés de l’ogre capitaliste occidental en Côte d’Ivoire, sur les faits passés et présents, sur les analyses et opinions largement fabriquées et véhiculées souvent par une « communauté internationale » aussi insaisissable que vague dans sa définition.


Le CNRD espère que loin des idées reçues et des vérités biaisées, le président de la France des Lumières qui a inspiré la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, recueille le meilleur de son héritage et en fasse don aux peuples du monde, pour que, unis enfin, nous mettions en acte la grande chanson de l’Homme : aimons nous les uns les autres.


Veuillez recevoir, Excellence, Monsieur le président de la République, nos salutations distinguées.



Bernard Binlin DADIE,  président du CNRD
(Source : CIVOX. NET 15 Mai 2012)

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13 mai 2012 7 13 /05 /mai /2012 09:36

Monsieur Miaka Oureto, président par intérim du FPI affirme dans un entretien, publié dans le quotidien Notre Voie n°4124 du mercredi 2 mai 2012 : « Nous avons reconnu, en son temps, la victoire d’Alassane Ouattara ».


Des militants du FPI sont surpris par cette révélation pathétique de notre président par intérim, Miaka Oureto qui soutient aux yeux de l’opinion nationale et internationale que « Nous avons reconnu, en son temps, la victoire patriotes-prisonniers-des-Frci.jpgde Ouattara… Cette question est derrière nous maintenant… Il faut avancer, c’est aussi cela la matière politique… Nous pensons que c’est fini… Cela ne nous empêche pas de lutter pour la libération de Gbagbo ». Ces propos ont été tenus par le président Miaka Oureto.


Maintenant la question qui me vient à l’esprit est de savoir par quelle instance du FPI et à quel moment précis nous avons unanimement reconnu la victoire de Dramane Ouattara sur Gbagbo ?


Le camarade Miaka est libre de reconnaître la victoire de Dramane Ouattara en tant qu’individu sans forcément associer tous les militants du FPI dans ce soutien qu’il apporte à son ami président Ouattara. Miaka s’était fait inviter à l’insu du bureau national encore moins des militants du FPI à l’investiture de Dramane Ouattara à Yamoussoukro en présence du néocolonialiste Sarkozy. Le camarade Miaka est donc dans une démarche qu’il a toujours adoptée depuis l’arrivée de Ouattara au pouvoir. Mais ce qui agace la majorité des militants du FPI, c’est d’avoir à la tête du parti quelqu’un qui veut ruser avec tout le monde pour « légitimer » Ouattara et en retirer une reconnaissance personnelle dont la quête est devenue un objectif de vie. Où sont donc les valeurs fondatrices pour lesquelles les militants ont tant œuvré ?


Si Miaka affirme que le FPI a reconnu, en son temps la victoire de Ouattara, cela confirme que Gbagbo est effectivement responsable des 3000 personnes tuées au cours de la crise postélectorale. A partir de cette interview, les avocats de Dramane Ouattara et le RDR peuvent crier victoire. Pourquoi cette déclaration à quelques semaines du jugement de Gbagbo par la CPI ?


Monsieur Miaka nous dit : « Reconnaître la victoire de Ouattara ne nous empêche pas de lutter pour la libération de Gbagbo ». Comment peut-on reconnaître la victoire de Ouattara et lutter pour la libération de Gbagbo ?


Ouattara a été imposé aux Ivoiriens et à la sous-région ouest-africaine pour protéger les intérêts Français. Ouattara n’est pas seulement ami de Sarkozy mais de toute la France. Il est l’agent pourvoyeur de matières premières et de fonds vers la République française. Houphouët-Boigny a été l’ami de tous les chefs d’Etat français sous la Ve République y compris le socialiste Mitterrand. Ouattara à la tête de la Côte d’Ivoire, c’est le retour en force de la recolonisation de notre pays ; c’est pourquoi les vrais militants du FPI ne reconnaîtront jamais la victoire de Ouattara comme président élu démocratiquement. Ce n’est pas parce que Gbagbo et les autres camarades sont emprisonnés qu’il faut faire semblant de reconnaître la victoire de Ouattara sur Gbagbo. Monsieur Miaka doit comprendre que les libertés s’arrachent, elles ne se négocient pas. La libération de Gbagbo et de la Côte d’Ivoire dépendra de la détermination des Ivoiriens et des Africains eux-mêmes. Même notre camarade Hollande doit être bousculé comme nous l'avions fait pour Sarkozy. Un chef d’Etat français est un chef d'Etat français.


Le dialogue républicain est un instrument de diversion pour endormir la communauté internationale. Restons dignes et déterminés. C’est ça aussi la lutte permanente.


(*) – Le titre est de la rédaction.


Liadé Gnazegbo, socialiste et militant de longue date du FPI.
(Source : CIVOX. NET 11 Mai 2012)



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