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5 juillet 2012 4 05 /07 /juillet /2012 17:26

civox.net - Marcel Amondji, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

M.A. - Je suis un écrivain ivoirien vivant depuis très longtemps hors du pays pour … je dirais pour des raisons diverses. Parce que, d’abord, j’ai quitté la Côte d’Ivoire tout au début de l’adolescence pour entrer au lycée en France. Je suis l’un de ceux qu’on appelle d’un nom que je n’aime pas beaucoup : « les chevaliers de L’Aventure ». Parce que le bateau dans lequel nous sommes partis de Port-Bouët, une frégate de la marine de guerre française, s’appelait « L’Aventure ». Ça ne fait pas de nous pour autant des chevaliers, des aristocrates… Ensuite, en 1961, j’ai été l’un des étudiants livrés à Houphouët par les autorités françaises de l’époque. J’ai évoqué récemment cet épisode dans mon blog sous le titre « Bamako 8 juillet 1961, souvenirs d’un premier jour d’exil ». Après cela, j’ai rejoint l’Algérie indépendante fin 1962, pays où je devais passer plus de 20 ans avant de revenir m’installer en France, le pays de mon épouse, vers le milieu des années 1980, après avoir demandé et obtenu l’annulation de mon arrêté d’expulsion. Depuis la mort d’Houphouët, je suis retourné quelques fois au pays, mais j’avoue que je ne le connais pas vraiment ; je veux dire, sa géographie, en dehors de ma région natale, région d’origine de ma famille, autour de Bingerville et Abidjan.

 

civox.net - Vous êtes membre du Cercle Victor Biaka Boda. En êtes-vous le fondateur, qui en sont les membres et quel sont ses objectifs ? Par ailleurs quelles étaient vos relations avec feu Victor Biaka Boda ?

M.A. - Oui, je suis le fondateur du Cercle. A mon grand regret, je crois qu’à part moi, il n’y a qu’un seul autre membre, dont je sais le nom, mais absolument rien d’autre. Non, je n’ai pas connu le sénateur Biaka Boda ; mais cela fait plus de soixante ans que je vis, si j’ose dire, dans l’intimité de son fantôme. Pour moi, c’est l’antithèse d’Houphouët. C’est le vrai fondateur de la Côte d’Ivoire telle que je souhaite qu’elle se reconnaisse un jour. Autant, pour moi, Houphouët est un exemple négatif, autant je tiens Victor Biaka Boda pour le héros positif dont tous les patriotes ivoiriens devraient s’inspirer. Il y a peu d’écrits sur ce héros. Dans «Les pionniers de l’indépendance », Claude Gérard lui consacre une petite dizaine de pages saisissantes. Il y a aussi le livre de son parent Devalois Biaka : « La disparition du patriote Victor Biaka-Boda. Plaidoyer pour libérer sa dépouille mortelle ». Ces temps-ci, on nous vante beaucoup de livres ou tout à fait inutiles, ou carrément pervers. Ces deux livres-ci sont indispensables, vraiment ! Permettez-moi d’exprimer un très vieux rêve : je souhaite qu’un de nos étudiants en histoire consacre sa thèse de doctorat à la vie de cet homme exceptionnel dont le meurtre fut l’un des coups les plus terribles que le colonialisme aux abois, s’appuyant sur la trahison domestique, asséna à notre peuple.

 

civox.net - Dans le cadre de cette interview, nous aborderons des questions d’ordre historique et d’actualité. D’un point de vue historique, à la lumière de la situation sociopolitique de la Côte d’Ivoire au cours de cette décennie, dans laquelle la France a joué un rôle majeur, pensez-vous que l’indépendance proclamée le 7 août 1960 est une réalité ?

M.A. - Ma réponse est non, évidemment. C’est la même depuis le 3 juin 1960, jour de la fameuse déclaration d’Houphouët « sur le parvis de l’église » avec ses « fleurs fanées ». Depuis lors, chaque jour, j’en ai été toujours plus convaincu. Aujourd’hui, il y a peu d’Ivoiriens sincères qui répondraient « oui » à votre question. Même parmi les vainqueurs par procuration du 11 avril 2011.  Car ils savent bien que c’est parce la Côte d’Ivoire n’est pas un vrai pays indépendant et souverain qu’ils sont en train de s’y pavaner à des titres divers… La posture actuelle de Bédié est un formidable indice de cette emprise coloniale persistante. Comparez le Bédié d’aujourd’hui, l’homme qui balaie le chemin devant Ouattara, avec le chef d’Etat plein d’orgueil qui proclamait à la face du monde, le 22 décembre 1999 : « Nos aînés n’ont pas lutté pour l’indépendance pour que nous acceptions aujourd’hui de nouvelles soumissions. La nationalité, la citoyenneté, la démocratie et la souveraineté nationale sont les quatre côtés d’un carré magique qu’il nous faut défendre avec calme et détermination devant ces ingérences inacceptables. C’est aux Ivoiriens de décider par eux-mêmes, pour eux-mêmes, et de choisir librement l’un d’entre eux pour conduire le destin de la nation en refusant les aventures hasardeuses et l’imposture insupportable » (Fraternité matin 23 décembre 1999). Si l’homme qui parlait ainsi a complètement changé de langage, c’est qu’il a compris son erreur. Le 22 décembre 1999, il se prenait pour le dirigeant d’un pays souverain ; il tapait du poing sur le pupitre. Le 24 décembre lui fit comprendre qu’il avait été imprudent ; il n’a pas oublié la leçon.

 

civox.net - Houphouët a, pour ses partisans et épigones, acquis le statut de père de l’indépendance de la Côte d’Ivoire. Mais pour ses opposants ce statut n’est rien d’autre qu’une falsification de l’histoire. Pour ces derniers, Houphouët était opposé à l’indépendance. Alors, selon vous, qui dit vrai dans ce débat ?

M.A. - Je vais vous raconter une anecdote. C’était à Alger, chez Amadou Kourouma où j’avais ramené le docteur Amadou Koné depuis Tizi Ouzou où il exerçait à l’époque. C’est Kourouma qui raconte : le jour où Houphouët fit sa conférence de presse pour présenter la soi-disant « confession d’Ernest Boka », il se trouvait à la résidence du président Mamadou Coulibaly – Coulibaly avec un « C » ; ne pas confondre ! – quand celui-ci, qui revenait d’assister à cette conférence de presse, s’est affalé dans un fauteuil en disant : « C’est le mensonge en personne qui est assis dans le fauteuil de président de la République ». Père de l’indépendance ? Mais Houphouët n’a jamais voulu que ce pays soit indépendant, et il fit tout ce qu’il put pour qu’il ne le soit pas tant que lui vivrait. Père de la nation ? Mais pour Houphouët il n’y avait pas de nation ivoirienne. C’est-à-dire que lui, président de la République de Côte d’Ivoire, ne se reconnaissait pas d’obligation aucune vis-à-vis de l’entité d’où procédaient ses pouvoirs, la communauté des citoyens ivoiriens, autrement dit la nation ivoirienne… Le président Mamadou Coulibaly avait bien raison de le dire : Houphouët est bien le plus gros mensonge de notre histoire nationale.

 

civox.net - Vous avez vécu la grande partie de votre vie en exil en France, ce qui suppose que vous étiez opposé au système politique régnant en Côte d’Ivoire sous Houphouët-Boigny. Pourquoi étiez-vous opposé à Houphouët-Boigny ?

M.A. - C’est une histoire qui commence en 1959 pendant les dernières vacances que j’ai passées au pays en tant qu’étudiant. Cette année-là j’ai vu et compris beaucoup de choses. Avec deux autres camarades, nous avons été arrêtés et assignés à résidence à la suite d’une audience houleuse du Premier ministre Houphouët. C’est aussi l’année du faux « complot du chat noir » et de la première chute de Jean-Baptiste Mockey ; j’étais à Abidjan quand c’est arrivé. Et aussi quand le syndicaliste Blaise Yao Ngo fut enlevé nuitamment chez lui pour être jeté derrière la frontière ivoiro-guinéenne. Revenu en France, j’ai été élu président de l’Union générale des étudiants de Côte d’Ivoire, l’UGECI, au congrès de décembre 1959. Ainsi je devais être le dernier président de l’UGECI de l’époque coloniale, et le premier après l’indépendance. C’est pendant l’année de mon mandat que les choses se sont vraiment gâtées entre l’Union et Houphouët. Ce soi-disant « homme de dialogue » n’aimait pas qu’on lui tienne tête…

 

civox.net - Pourquoi avez-vous choisi l’exil que de rester en Côte d’Ivoire pour mener votre opposition politique contre l’ancien régime ?

Quand j’ai choisi l’exil, comme vous dites, je n’étais pas au pays, mais à Bamako où l’avion qui nous transportait vers Abidjan après notre expulsion de France – nous étions trois – avait fait escale pour permettre à son unique passager voltaïque d’y prendre sa correspondance. Nous en avions profité pour demander l’asile politique aux autorités maliennes. Soit dit en passant, nous avions été arrêtés et embarqués de force à destination d’Abidjan alors qu’Houphouët était en voyage officiel à Paris ! Ça ne vous rappelle rien ? Lomé 2012 ; Lida Kouassi… Je savais ce qui nous attendait à Abidjan. Après tout ce que j’y avais vu et entendu pendant les vacances de 1959, je n’ai pas voulu me laisser humilier aussi gratuitement par Houphouët et ceux qui le manipulaient.

 

civox.net - Selon ce qui se raconte, Houphouët étaient le dictateur qui avait l’art de liquider ses opposants politiques. A ce sujet le professeur Samba Diarra a écrit un livre intitulé Les faux complot d’Houphouët. Partagez-vous cet avis ?

M.A. - Samba Diarra, un aîné que j’estimais, même si je n’approuvais pas son positionnement politique dans la dernière période, a écrit son livre depuis l’antre du monstre ; c’était l’un des martyrs d’Assabou. C’est le contraire de moi. Son livre est un bon livre. Il n’en existe point d’autre qui soit aussi précieux, aussi utile à ceux qui voudraient connaître ce qui s’est passé en 1963 et 1964. Mais, quant à savoir si Houphouët était ce que vous dites, je dirais que les choses sont plus complexes et que cette caractérisation-là est, à la limite, une injustice à son égard… C’est un point sur lequel Samba et moi étions en total désaccord. Nous en avons d’ailleurs discuté un jour à Anono. Moi, je critique Houphouët publiquement depuis 1958, mais je me refuse à le charger de manière exclusive des péchés qu’on lui a fait commettre. Dans son livre, S. Diarra rapporte qu’avant de faire jeter Germain Coffi Gadeau en prison en septembre 1963, Houphouët lui aurait dit ceci : « Je m’apprêtais à libérer ces jeunes gens [les victimes des rafles de janvier 1963] à mon retour d’Addis-Abeba, comme je l’avais promis. Tu sais en effet qu’ils n’ont rien fait. Mais voilà que par vos bêtises, vous vous trouvez au fond du puits, et moi j’ai le dos au mur. (…). C’est une situation créée par les colonialistes. On veut faire de moi un violent, un criminel, un fossoyeur des libertés, moi qui ai consacré toute ma vie à défendre la liberté des peuples, à prôner et à pratiquer la non-violence, moi qui ai juré de ne jamais verser le sang humain. Il ne sera point question d’exécuter qui que ce soit. Je trouverai une solution politique. J’ai déclaré au monde entier qu’il y a complot. Il ne saurait être question de me dédire et espérer demeurer à mon poste () » (« Les faux complots d’Houphouët-Boigny », Karthala, Paris 1997 ; p. 174). Vous voyez ? Si, nous les Ivoiriens, nous sommes tous des victimes du colonialisme français, Houphouët aussi en était une, et il était plus exposé qu’aucun autre d’entre nous… Ce n’est pas un dictateur qui nous a fait tout ce mal, mais un fantoche terrorisé par Foccart et ses tueurs du petit matin. Vous êtes trop jeune pour avoir vécu cela. Mais les premières rafles de 1963 ont été déclenchées le 13 janvier, soit le lendemain du meurtre de Sylvanus Olympio, le président du Togo. C’est pour ne pas subir le même sort qu’Houphouët livra d’un coup en sacrifice toute l’intelligentsia ivoirienne de l’époque au monstre qui le terrorisait. Ce n’est pas moins ignoble que s’il s’était agi d’un vrai dictateur agissant pour son propre compte. Mais, moi, quand on me frappe avec un bâton, ce n’est pas contre le bâton que je proteste, mais contre celui qui tient le bâton.

 

civox.net - Et pourtant l’houphouétisme est présenté comme une religion politique, caractérisée essentiellement par la paix, le dialogue et la démocratie. Dans cette perspective, et en se référant aux faux complots dont il est question, peut-on dire que l’houphouétisme relève de la cosmétique politique visant à maquiller la face hideuse de la politique d’Houphouët ?

M.A. - Si on peut parler d’houphouétisme, ce n’est certainement pas d’une doctrine, d’une philosophie politique. D’ailleurs Houphouët disait qu’il se méfiait de tous les « ismes ». Et il se vantait de n’avoir rien écrit, à l’instar de Jésus et de Mahomet… Prenez au hasard deux de ces types qui se proclament houphouétistes et demandez leur ce qu’ils ont en commun. S’ils sont sincères et honnêtes, ils diront que c’est la peur d’être mal vus des Français qui tiennent tout dans ce pays. L’houphouétisme dont ils se targuent, ce n’est qu’un drapeau blanc qu’ils agitent pour signaler aux Français qu’ils sont prêts à les servir…

 

civox.net - Dans le déroulement de la crise survenue en Côte d’Ivoire au lendemain du 19 septembre 2002, était-il possible d’imaginer, mieux, de prévoir ce qui est arrivé le 11 avril 2011 ?

M.A. - C’est une question difficile. Pour plusieurs raisons. Une réponse sérieuse exigerait beaucoup de temps. Disons, cependant, que s’il n’y a pas de fatalité en histoire, il y a une dynamique propre à chaque série d’événements qui surviennent dans un pays, une société politique ; une logique interne ou, si vous voulez, une dialectique. Dans un pays comme le nôtre, qui a été gouverné jusqu’à 1993 et plus, comme le pays de tout le monde exceptés ses habitants naturels, ceux qui sont arrivés aux affaires en octobre 2000 ont, pour dire le moins, manqué d’un certain courage, qui est, en politique, l’autre nom de l’intelligence… Avec du courage, on aurait pu se préparer méthodiquement à toutes les surprises que nous avons eues. Je veux dire qu’on aurait pu faire en sorte que ce ne soit pas des surprises… Mais je ne veux surtout pas dire qu’on aurait pu éviter le coup du 11 avril 2011 ; car le colonialisme français est incorrigible ; il ne renonce à mordre que lorsqu’il s’est cassé les dents sur une résistance décidée, comme à Vertières, comme à Dien Bien Phu, comme en Algérie ! Non, je veux seulement dire qu’on aurait pu faire en sorte que le 11 avril 2011 ne soit pas cette catastrophe absolue, qui nous a laissés non seulement sans gouvernail, mais aussi sans boussole.

 

civox.net - Selon vous, pourquoi Gbagbo a-t-il perdu la guerre de mars-avril 2011 ? La défaite résulte-t-elle d’une méconnaissance de l’ennemi réel, d’une mauvaise stratégie ou simplement d’une faiblesse effective de l’armée loyaliste face à la coalition Licorne-Onuci-rebelles ?

M.A. - Déjà votre question contient en elle-même deux réponses que je ferais volontiers miennes. Laissons de côté l’erreur stratégique ; je ne suis pas, comme Lida Kouassi, un spécialiste de la stratégie et je ne sais donc pas ce que ç’aurait pu être. Je retiendrais la méconnaissance de l’ennemi véritable et, non pas la faiblesse, mais l’inexistence d’une armée digne de ce nom. Car telle qu’elle était déjà du temps d’Houphouët ou de Bédié, et encore plus telle que Guéi l’a laissée, ce que nous appelions notre armée était en fait notre plus gros handicap. Laurent Gbagbo aurait-il pu changer cela ? Peut-être, s’il en avait eu le temps. Mais on ne lui a laissé le temps de rien faire de ce qu’il avait fait espérer…

 

civox.net - Pensez-vous que la Côte d’Ivoire pourra un jour se libérer des puissances impérialistes et néocoloniales pour vivre une réelle indépendance et manifester une réelle souveraineté ? Si oui à quelles conditions ?

M.A. - Oui, je le pense… Je crois qu’un jour viendra où la majorité de ceux qui vivent et travaillent dans ce pays appelé la Côte d’Ivoire déciderons de le gouverner par et pour eux-mêmes. Je vais peut-être vous étonner. En ce moment on parle de rattrapage ;  des régions entières sont envahies par des populations descendues du Sahel. Supposons qu’elles y fassent souche, et qu’elles surpassent en nombre les anciens naturels. Eh ! bien, le jour viendra où les enfants et les petits-enfants de ces envahisseurs, de ces nouveaux Germains, Goths, Wisigoths, Huns, Tatares, Sarrasins, Lombards, Normands, Ottomans, etc., se lèveront pour ôter les rênes de ce pays des mains de ceux qui les tiennent depuis 1893… J’en ai la certitude absolue. Evidemment je ne serai plus là pour m’en réjouir. Mais au moins, je le dis sans fausse modestie, je mourrai avec la satisfaction d’avoir, peut-être, par mes écrits, contribué à l’avènement de ce jour.

 

civox.net - Dans son intervention lors de la réunion du bureau politique du PDCI-RDA le 2 juin dernier, l’ancien président Bédié a dit que «l’histoire héroïque» du PDCI-RDA a été marquée par «ses combats contre le colonialisme» et «ses batailles pour la libération de l’homme noir». Etes-vous de cet avis ? Pensez-vous que l’homme noir est véritablement libéré de la domination occidentale ?

M.A. - J’ai écrit un livre qui traite un peu de la condition des Noirs telle qu’elle a résulté dans beaucoup de pays, non seulement en Afrique d’ailleurs, de l’histoire de l’esclavage moderne et de celle de la colonisation. C’est un sujet complexe. Il faudra encore beaucoup de temps, beaucoup de livres, avant qu’on n’en ait fait le tour. Quant au Pdci, ce qu’en disent les idolâtres d’Houphouët, eux-mêmes soumis comme lui aux colonialistes français, ce sont évidemment soit des mensonges, soit des âneries. Oui, c’est vrai qu’à l’origine le Pdci était un puissant mouvement anticolonialiste. Mais en 1950 son principal dirigeant a été retourné contre lui par le parti colonial français, et dès lors il s’est évertué à le détourner de sa vocation première. Ce ne fut pas facile ; il lui aura fallu plus de 14 ans – 1950-1963 – pour y arriver. Depuis 1963, le Pdci mouvement anticolonialiste n’existe plus ni dans sa base ni encore moins dans ses directions.

 

civox.net - Etes-vous d’avis avec le président du PDCI-RDA, M. Henri Konan Bédié qui, dans son message introductif de cette réunion, désigne le président Gbagbo, tout comme certains médias occidentaux, comme un dictateur devenu le bourreau des ivoiriens ?

M.A. - Ecoutez, je connais Bédié depuis 1958 et, depuis lors, je crois bien que je n’ai jamais été d’accord avec lui sur rien ni personne… Sur Laurent Gbagbo comme chef de parti ou comme chef d’Etat, j’ai ma propre opinion, qui ne doit rien à Bédié. Et qu’il serait trop long d’exposer dans le cadre de cet entretien… Alors je dis seulement que dans la bouche de Bédié, le fils spirituel d’Houphouët, qui fut paraît-il témoin du meurtre d’Ernest Boka, qui est aujourd’hui le complice de Ouattara et de ses Frci, les mots de « dictateur » et de « bourreau » appliqués à L. Gbagbo, sont presque des éloges… Car la fange que te lance un personnage indigne, c’est ce personnage lui-même, d’abord, qu’elle salit.

 

civox.net - Comment percevez-vous l’avenir de Laurent Gbagbo incarcéré à La Haye depuis le 29 novembre 2011 ?

M.A. - Je ne lis pas dans le marc de café ; je ne sais pas ce que lui réservent ceux qui l’ont arrêté et livré à la Cpi. Par conséquent je ne saurais me prononcer sur son avenir personnel. Mais, à La Haye, ils n’y ont pas envoyé que Gbagbo seul. Ils y ont aussi convoyé toute la ferveur de ceux qui ont voté pour lui lors de la présidentielle de 2010. Et aussi les âmes de tous nos jeunes, civils et militaires, garçons et filles, qui ont donné leur vie pour la patrie dont, à leurs yeux, Gbagbo était le symbole. Ce Gbagbo-là, élargi en somme à nous tous, les patriotes survivants et les patriotes morts au combat ou qu’on a massacré depuis le 11 avril 2011, je crois, à la lumière des résistances qui se dessinent, qu’on peut lui promettre un avenir des plus radieux.

 

civox.net - Quel jugement faites-vous de la gestion politique et économique de la Côte d’Ivoire par Gbagbo ?

M.A. - En somme, vous me demandez de faire le bilan de la présidence Gbagbo… Mais comment peut-on parler de bilan quand on sait qu’à partir du guet-apens de Kléber, Gbagbo n’avait plus aucune possibilité réelle d’agir de manière positive ? Je sais bien que certains, notamment dans les « journaux bleus » proches du Fpi, vantent les réalisations de Gbagbo… Mais c’est donner dans le piège tendu par l’ennemi. C’est croire qu’il était possible de faire une vraie politique nationale avec des gouvernements patchwork truffés de sous-marins de la trahison domestique et dirigés par des Premiers ministres imposés par l’étranger, totalement incontrôlables par un président préalablement désarmé et réduit à l’impuissance. Et, par conséquent, que si cela ne fut pas le cas, c’est la faute à Gbagbo. Cela s’appelle se soumettre au fait accompli. Je m’y refuse absolument. Gbagbo n’a été le chef de l’Etat ivoirien que durant quelques mois à peine. Juste le temps de faire la revue de tous les problèmes légués par Houphouët, que la sotte vanité de Bédié avait aggravés, et que la tragique incompétence de Robert Guéi avait définitivement transformés en une immense bombe à fragmentation. Et l’ennemi reprenait l’offensive dans la nuit du 18 au 19 septembre 2002. Gbagbo, serait-il le plus grand génie politique de l’histoire, pouvait-il faire quoi que ce soit dans de telles conditions ?

 

civox.net - Le discours du président du PDCI-RDA ne manque pas de contradictions sur lesquelles nous voudrions avoir votre avis. Nous entendons un Bédié qui, d’une part, soutient que «le programme commun de gouvernement ne peut être une œuvre réservée à des groupements d’hommes et de femmes de même profil ethnique, confessionnel, régional ou politique » et qui, d’autre part, soutient que «Les cabinets des différents ministères devraient arborer les couleurs de notre alliance, le RHDP, et non celles d’un seul parti. Chaque structure, chaque entreprise, publique ou privée, doit être le creuset de la diversité et de la richesse de l’unité nationale ». Alors, la diversité et la richesse nationale se réduisent-elles au RHDP ?

M.A. - Dans les propos de Bédié il y a ce qui est purement déclaratoire, et qui n’est destiné qu’à calmer certaines impatiences le temps que s’accomplisse l’essentiel. Cet essentiel qui relève d’un plan déjà en cours d’exécution avec la création, avalisée après coup par le BP, de deux espèces de condottieri qui ne seront même pas tenus d’avoir la carte du parti, et qui n’auront de comptes à rendre qu’à Bédié seul ! La leçon essentielle de ce discours, c’est donc que Bédié a décidé de privatiser le Pdci, de se l’approprier, sans doute pour s’en servir comme d’une monnaie d’échange dans le cadre de son pacte personnel avec Ouattara et sa nébuleuse « communauté internationale ». Pour le reste, ce ne sont que des mots, de la poudre aux yeux. Cela ne fera pas longtemps illusion.

 

civox.net - Le Bureau politique du PDCI-RDA a eu à faire la déclaration suivante : « Le Bureau Politique se félicite du rôle éminent et indéniable de cette alliance (RHDP) dans notre combat pour vaincre l’ennemi commun et préserver l’héritage du père fondateur ». « L’héritage d’Houphouët »: une utopie ou une réalité?

M.A. - A propos d’héritage d’Houphouët, je vous renvoie à la confidence qu’un ancien chargé de mission au cabinet d’Houphouët a faite à Didier Dépry, journaliste de Notre Voie, à savoir que « durant tout le règne d’Houphouët, le véritable président de la République de Côte d’Ivoire s’appelait Jacques Foccart » ! Si cela est vrai – et je ne vois pas pourquoi l’informateur de D. Dépry lui aurait menti –, ce qu’ils appellent l’héritage d’Houphouët, c’est à la vérité l’héritage de Foccart. Il n’y a pas de quoi pavoiser.

 

civox.net - Dans l’un de vos derniers articles vous citiez Houphouët qui lui-même donnait la motion son choix pour Ouattara au poste de Premier ministre de la Côte d’Ivoire. Il disait en substance ceci : « Nous l’avons choisi en raison de la place qu’il occupe dans le cœur, dans la raison de ceux qui ont eu, à l’étranger, à travailler avec lui ». Faut-il déduire que Ouattara est un instrument au service des puissances étrangères ? Peut-on considérer, politiquement et économiquement, Ouattara comme une chance pour la Côte d’Ivoire ?

M.A. - Ecoutez, en l’occurrence, le propos d’Houphouët me paraît tout à fait clair. Ce n’était pas toujours le cas ; ça veut dire qu’il voulait qu’on le prenne au mot… C’est pourquoi je suis prêt, pour une fois, à prendre cette déclaration pour parole d’évangile. Oui, à l’instar d’Houphouët dont lui aussi se prétend le disciple, Ouattara n’est pas une chance pour la Côte d’Ivoire, mais un fléau.

 

civox.net - Etes-vous de l’avis de ceux qui pensent que l’accession des socialistes au pouvoir en France peut contribuer à un changement positif de la situation en Côte d’Ivoire ?

M.A. - Non ! Absolument pas ! Si vous me demandez pourquoi ?, je vous renvoie à mon article intitulé « La mémoire, l’histoire et le reste »… Et permettez-moi d’ajouter cette précision : je crois, depuis toujours, que la meilleure façon pour les dirigeants d’un pays donné d’aider un autre pays, c’est de faire chez eux d’abord, pour leur propre peuple, le mieux possible, ce qu’ils sont censés y faire. Si les socialistes français actuellement au pouvoir font ce que les Français qui les ont élus sont en droit d’attendre d’eux, cela nous sera utile à nous aussi, d’une certaine manière.

 

civox.net - Avez-vous une adresse particulière aux Ivoiriens ?

M.A. - Oui. Mais vous m’obligez à me répéter. L’avenir que nous voulons pour notre pays et pour notre peuple, c’est nous, et nous seuls, qui en détenons la clé. Nous, je veux dire : les Ivoiriens qui résistent à la nouvelle mouture de l’houphouéto-foccartisme qu’on cherche à nous imposer à tout prix. Alors, à leur intention, je pousse notre cri de ralliement : Résistance !

 

(Source : civox.net 5 juillet 2012)

 

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