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2 mars 2013 6 02 /03 /mars /2013 00:01

Dans un article publié le 19 février dernier, et rédigé par Thomas Scheen, correspondant en Afrique du Sud, le Frankfürter Allgemeine Zeitung, un des principaux quotidiens allemands, relaie les critiques qui montent de l’Afrique à propos de la Cour pénale internationale, qui a des «motivations politiques» qui «tournent souvent à l’avantage de l’Occident».

Le quotidien indique que sous Gbagbo, l’influence française avait été réduite, et qu’elle est rétablie sous le règne de Ouattara, qualifié de «milliardaire» et de parrain de la rébellion de septembre 2002. Notre correspondant en Allemagne a traduit cet article pour nos lecteurs.

Ce mardi (mardi 19 février, ndlr) l'ancien président ivoirien Laurent Gbagbo comparaît devant un panel de juges de la Cour pénale internationale à La Haye, deux ans après qu'il a été arrêté et transféré aux Pays-Bas. Les juges auront à décider si les accusations portées contre M. Gbagbo sont valides et donc si l'ancien président de Côte d'Ivoire, peut être jugé par la CPI.

L'acte d'accusation accuse le socialiste de 67 ans, de «complicité indirecte» dans des crimes contre l'humanité en relation avec les violences de fin 2010 à début 2011 en Côte d’Ivoire. Selon l’acte d’accusation, Gbagbo et ses partisans auraient concocté un «plan» visant à maintenir Gbagbo au pouvoir, en ciblant ses opposants politiques et ethniques.

Seulement dans la période allant du 28 novembre 2010 au 8 mai 2011, des soldats et miliciens restés fidèles à Gbagbo, selon l’acte d’accusation, auraient assassiné entre 706 et 1059 personnes. Gbagbo, et avec lui, une grande partie de la population ivoirienne – en l’occurrence ses électeurs – contestent cela et dénoncent la procédure comme étant une « justice des vainqueurs». Flashback: Laurent Gbagbo est élu en Novembre 2000 dans des circonstances chaotiques, Président de la Côte d'Ivoire. Le pays vient de traverser un coup d'Etat militaire. Malgré les nombreuses imperfections, les résultats des élections sont internationalement reconnus. Deux ans plus tard, une rébellion provenant du Burkina Faso plonge le pays dans la guerre civile. Derrière les rebelles se trouve le rival de Laurent Gbagbo, Alassane Ouattara. Cinq ans après le déclenchement de la rébellion, un accord de paix est trouvé en 2007.

Des élections libres sont fixées, mais jusqu'à ce qu'elles puissent être tenues, beaucoup de temps s’écoule parce que la liste électorale est incomplète et doit être renouvelée. Quand en novembre 2010, enfin, se tiennent les élections, Gbagbo ne reconnaît pas les résultats à cause de nombreuses fraudes présumées dans le nord du pays, fief de Ouattara. La communauté internationale veut forcer Gbagbo à céder le pouvoir. Il refuse et active ses partisans. Ses adversaires passent à l'offensive et obtiennent l'aide de l'armée française, Gbagbo étant devenu un paria international. Plus de 3000 personnes sont tuées. Gbagbo est arrêté ainsi que son épouse Simone. Gbagbo sera transféré à la Cour Pénale Internationale.

 

Les partisans de Gbagbo ont leur propre version

Du point de vue des partisans de Gbagbo, qui selon les résultats de 2010, pèse au moins 48 pour cent de la population électorale de la Côte d'Ivoire, l'histoire de la crise en Côte d’ivoire est bien sûr autre : Guillaume Soro, un ancien leader étudiant d'Abidjan et un ancien proche allié de Gbagbo, se rend peu de temps après l'élection de 2000 à Ouagadougou au Burkina Faso et y bâtit avec l'argent du milliardaire Ouattara, qui n'a pas pu participer à cette élection, une rébellion armée.
Cette dernière marche sur la Côte d’Ivoire en 2002 et tente de renverser un gouvernement élu. Les rebelles commettent de nombreuses atrocités. En 2007, sous la pression de la communauté internationale, un accord de paix est conclu avec la formation d’un gouvernement de transition. Guillaume Soro en devient le Premier Ministre. Après l'élection en Novembre 2010, Soro menace Gbagbo de reprendre la guerre si ce dernier n’abdique pas et met sa menace à exécution. 3 000 personnes sont tuées, dont plus de 800 civils dans un village de l'ouest de la Côte-d'Ivoire, massacrés par les rebelles de Guillaume Soro. La communauté internationale met Ouattara sur le trône, Guillaume Soro devient Président du Parlement et Gbagbo est inculpé.

 

Procès ou amnistie pour tous

Il est clair que les deux parties au conflit ivoirien ont du sang sur les mains. Cependant, la façon dont la Cour pénale internationale ou plutôt le procureur de la CPI, a pris parti dans le cas de la Côte d'Ivoire, est de nature à renforcer sentiment dominant en Afrique selon lequel le Tribunal n'est pas indépendant mais est politiquement manipulé.

Même les Nations Unies, qui ont activement participé à la chute de Gbagbo, ont à plusieurs reprises insisté sur les graves violations des droits humains commises par les rebelles. Malgré cela, aucun dirigeant rebelle n’a été poursuivi à ce jour. Le peuple de Côte d'Ivoire voudrait bien regarder vers l’avant ; mais pour ce faire, il n'y a que deux possibilités: soit l'amnistie pour tous ou alors les poursuites contre tous ceux qui ont été impliqués dans la barbarie en Côte d’Ivoire. Le procureur de la CPI et ses choix sélectifs empêchent cela.

Il est d’ailleurs à noter que l’approche contre les crimes de guerre réels ou supposés en Afrique, a toujours des motivations politiques qui tôt ou tard tournent à l’avantage de l’Occident. Exemple de la Côte d'Ivoire : sous Gbagbo l’influence française en Côte d'Ivoire avait été considérablement réduite ; sous Ouattara elle a repris de l’ampleur.

Dans une cellule aux Pays-Bas, se trouve également Jean-Pierre Bemba, un ancien chef rebelle Congolais. Lors de l’élection présidentielle de 2006, au Congo Jean Pierre Bemba a été défait par Kabila avec 42 pour cent contre 58 pour cent des voix. Les deux tentèrent alors de régler le différend qui s’en était suivi, avec des armes automatiques, jusqu’à ce que Jean Pierre Bemba lui-même s’enfuie au Portugal. Peu de temps après, il a été arrêté et transféré à La Haye sous le reproche que ses rebelles auraient perpétré des massacres en 2002, en République Centrafricaine voisine, quand elles étaient venues secourir le Président Ange-Félix Patassé, alors confronté à une guerre contre sa propre armée.

 

Solidarité entre autocrates

Est-ce un hasard si dans le même temps l'opposition congolaise a été décapitée et le pouvoir du Président Kabila soutenu par l'Occident, a été consolidé ? L'Afrique ne croit pas à de telles coïncidences. Les gouvernements africains se trouvaient une fois de plus confrontés à la décision de ratifier le Statut de Rome, qui régit la Cour Pénale Internationale et ils durent y réfléchir par deux fois. Confrontés à la décision de ratifier le Statut de Rome, qui régit la Cour pénale internationale, les gouvernements africains ont dû réfléchir par deux fois. Cela a bien sûr des conséquences : le mandat d'arrêt contre le Président Soudanais Omar El-Béchir a été à ce jour, exécuté nulle part en Afrique. La nouvelle Présidente de la Commission de l'Union africaine (UA), Mme Nkosazana Dlamini-Zuma, le rejette d’ailleurs de manière très explicite.

On peut bien entendu considérer cela comme la solidarité entre autocrates. Mais la question peut aussi être approchée différemment : pourquoi Omar El-Béchir pour ses crimes présumés au Darfour est-il l’objet d’un mandat d’arrêt et pas le Rwandais Paul Kagamé qui a financé de nombreux groupes rebelles dans l’Est du Congo ayant plongé les habitants de cette région dans une misère inimaginable ? D'un point de vue africain, la réponse est simple. 

Au Rwanda, l’Occident compte encore sur Kagame, alors qu’elle cherche un changement de régime au Soudan. L'outil pour cela est la Cour pénale internationale. D'un point de vue africain, la réponse est toute simple. L'Occident a encore besoin de Kagamé au Rwanda, alors que le même Occident souhaite un changement de régime au Soudan. L’instrument pour cela est la Cour Pénale Internationale.

 

Traduit de l’Allemand par Kouakou Koffi 

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Source : Le nouveau Courrier

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